Exprimer le viol avec l’émoji violet, paradoxe et symbole de la libération de la parole sur les réseaux sociaux

Exprimer le viol avec l’émoji violet, paradoxe et symbole de la libération de la parole sur les réseaux sociaux


Du procès historique de Mazan reste gravée l’image de Gisèle Pélicot, lunettes fumées et dignité en bandoulière, qui entend faire changer la honte de camp face aux 51 accusés de « viols aggravés » sur sa personne. Mais aussi, dans les contenus publiés sur les réseaux sociaux depuis l’ouverture en septembre de cette affaire ultra-médiatique, l’image d’un simple disque violet : l’émoji 🟣.

Un point « violet » pour remplacer le mot « violer ». Plus tapageuse que « vi0l » écrit avec un zéro ou « vi*l » avec un astérisque, la pastille 🟣 a la même fonction que l’émoji 🍇 pour les anglophones (le mot grape, « raisin », se rapprochant du mot rape, « viol ») : contourner une éventuelle censure par shadowban. Ce « bannissement dans l’ombre » désigne le fait que les algorithmes ou les équipes de modération d’un réseau social, de façon opaque et unilatérale, choisiraient d’invisibiliser certains contenus. Le mot viol étant souvent associé en ligne à de la cyberviolence ou de la pornographie, les utilisateurs estiment que les réseaux sociaux tendent à réduire la visibilité des contenus qui en parlent.

On retrouve bien entendu des 🟣 (et dans une moindre proportion des 🟪) dans des vidéos et légendes antérieures au procès Mazan – l’émoji lui-même a été approuvé en 2019 par le Consortium Unicode, l’association qui veille notamment aux standards des émojis. Mais le subterfuge s’est largement répandu, l’émoticône devenant en quelque sorte l’emblème permettant d’identifier en un clin d’œil les espaces en ligne francophones débattant de la culture du viol et des violences sexuelles. Et le retentissement de l’affaire Pélicot dans la société a pu prendre la forme, certains jours, d’une éruption de points violets.

Faire une différence

Les systèmes de détection des plateformes ne sachant pas distinguer le contexte dans lequel un mot est employé, il a fallu depuis longtemps faire preuve d’inventivité dans le champ lexical des sexualités. Début septembre, les autrices de l’ouvrage collectif Gouines ont ainsi publié sur les réseaux sociaux une version caviardée de la couverture de leur livre avec un « Gou*nes » plus pudique. « Pour éviter de se faire striker [retoquer]par la modération d’Instagram, qui ne sait visiblement pas faire la différence entre l’insulte et la réappropriation de l’insulte », écrivait l’une d’entre elles.

Les utilisateurs et utilisatrices des plateformes glissent aussi volontairement des fautes d’orthographe dans les mots à caractère « seksuel », censurés dans sa pudibonderie par la Silicon Valley, qui avait même eu raison, en 2018, de la poitrine nue de La Liberté guidant le peuple, d’Eugène Delacroix.

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