Créée en 1987, la série Final Fantasy (dont le seizième épisode sort jeudi 21 juin), fut largement responsable de la percée du jeu de rôle japonais en Occident dans la seconde moitié des années 1990, période où elle devint l’un des parangons du « jeu vidéo cinématique ». Rythmés par de spectaculaires séquences non jouables en images de synthèse, les épisodes VII, VIII et IX sublimaient la portée lyrique des récits chorals chers à la saga.
Depuis, cette dernière poursuit une double quête de renouvellement (les épisodes canoniques sont fondés sur des univers, des personnages et des systèmes de jeu à chaque fois différents) et de flamboyance graphique, comme si cette série en perpétuelle mutation était, à l’image de ses protagonistes cultes, une éternelle adolescente.
En 2016, cependant, Final Fantasy XV divise l’opinion. Cette superproduction, qui suit la fugue de quatre garçons dans le vent sur les routes d’un monde ouvert, sort dans un état inachevé à l’issue d’un développement chaotique. Pour éviter qu’un tel accident se reproduise, Square Enix confie l’épisode suivant à une dream team dirigée par Naoki Yoshida, déjà responsable du sauvetage miraculeux du jeu de rôle en ligne Final Fantasy XIV après son premier lancement raté.
Final Fantasy XVI opte ainsi pour une formule plus maîtrisée, essentiellement linéaire, avec pour principale ambition de repousser les limites du spectaculaire. En revenant aux origines médiévales de la série après des années de science-fiction, cette nouvelle aventure en solitaire s’inspire ouvertement du succès de grands modèles occidentaux de fantaisie sombre et œuvre à proposer l’expérience cinématique ultime.
Sous l’épopée, la fantaisie sombre
Pour ce faire, Final Fantasy XVI abandonne la plupart des systèmes complexes des jeux de rôle à base de calculs pour s’envisager comme un jeu d’action dans la lignée de Devil May Cry (sur lequel a travaillé le réalisateur des combats). Variés sans être trop techniques, vertigineux tout en demeurant lisibles, les affrontements font partie de ce que le jeu réussit le mieux. Mais leur intérêt s’émousse au cours de la partie, tandis que s’installe une forme de progression routinière. Les joueurs peu portés sur l’action pourront d’ailleurs réduire voire supprimer cet aspect grâce à des options d’accessibilité qui permettent de se concentrer uniquement sur l’histoire.
Retorse, cette dernière met en scène un monde fictif en proie aux guerres de royaumes où la magie constitue une force salutaire autant qu’une malédiction funeste. Nous y suivons l’éveil de Clive Rosfield, héros mûr et ténébreux qui a vu son archiduché natal dévasté. Détenteur de pouvoirs formidables, il devient le libérateur d’un peuple opprimé par tout une galerie de monarques cupides, tandis que le monde de Valisthéa file petit à petit vers son crépuscule.
L’intrigue de Final Fantasy XVI fait la part belle aux complots géopolitiques mais, peu sûre d’elle, se raccroche à de nombreuses rengaines éculées, la plupart issues de l’archétype de Game of Thrones. Dans ce monde en proie à un fléau surnaturel, nous croisons un géant au grand cœur, une impératrice cruelle qui cajole son fils adolescent, alors que certains personnages-clés rencontrent une mort expéditive, que le héros se promène avec un chien-loup, ou que sexe et grossièretés s’invitent lourdement à cette grande table bancale. Même la carte du monde prend la forme d’un diorama affublé d’un curieux effet de réduction géographique qui n’évoque que trop clairement la série télé phénomène de HBO.
Les villes invisibles
En guise de liant, Square Enix se tourne alors vers les recettes éprouvées de Final Fantasy XIV (sorti en 2010), en tête desquelles les sempiternelles missions de coursier où le joueur est envoyé aux quatre coins du monde sous des prétextes fantaisistes. Or, ce qui fonctionne dans un jeu multijoueur consacré au cumul des points d’expérience et aux promenades lancinantes ne devient ici qu’une chasse aux marqueurs de quêtes dans des environnements restreints. Promises par les horizons mirifiques des décors fabuleux que nous traversons, les villes se réduisent généralement à une poignée de ruelles en couloir ou à quelques scènes cinématiques lorsque nous les atteignons. A cela, le jeu oppose des donjons conçus comme des successions de combats, où derrière chaque porte se cache une arène, et vice-versa. Une conception du jeu vidéo quelque peu dépassée.
Confiant dans sa capacité à se réfugier derrière sa cascade d’effets pyrotechniques, le jeu parvient néanmoins à nous happer par l’image. Ses combats deviennent des danses lumineuses dont le seul objectif serait d’embraser l’intégralité de l’écran de sortilèges prodigieux.
Les plus notables d’entre eux opposent des créatures titanesques dans des duels certes rébarbatifs mais visuellement stupéfiants. La démesure extrême de ces morceaux de bravoure a beau finir par estomper notre intérêt, nous restons volontiers pour le spectacle.
Une fois passé l’aveu que ce seizième épisode ne sera ni un grand jeu, ni un Final Fantasy mémorable, il est donc permis de l’apprécier pour ce qu’il est : une étape de plus dans la longue quête ingrate d’une série presque quarantenaire qui a bien du mal à quitter l’adolescence.
L’avis de Pixels
On a aimé :
- la réalisation technique et les décors époustouflants ;
- un système de combat réussi qui culmine dans quelques affrontements de boss particulièrement réjouissants.
On n’a pas aimé :
- l’exploration peu inspirée qui ne donne au joueur qu’un rôle d’accompagnateur passif ;
- un rythme trop allongé, y compris dans les moments les plus intenses.
C’est plutôt pour vous si…
- vous voulez vous plonger dans un ersatz japonais de Game of Thrones mettant en scène des personnages tragiques, dont certains attachants, dans un beau film de synthèse ;
- ce qui compte le plus pour vous, c’est le charme des compositions musicales de Masayoshi Soken.
Ce n’est plutôt pas pour vous si…
- vous n’aimez pas la surenchère façon Dragon Ball Z, L’Attaque des Titans ou Transformers ;
- vous rêvez qu’on en finisse avec les jeux structurés en quêtes et sous-quêtes.
La note de Pixels :
6 Primordiaux sur 10 Chimères.