Il incarnait le hackeur repenti, il va désormais être jugé dans une affaire d’extorsion numérique. Pour Florent Curtet, trentenaire français accusé d’avoir cherché à s’enrichir sur le dos de victimes de cyberattaques, l’enjeu sera lourd, fin novembre à Paris : éviter une condamnation, qui pourrait se solder par de la prison ferme. Il lui est reproché sa potentielle collusion avec les pirates informatiques du groupe Everest, dans une affaire de rançongiciel remontant à 2021 et qui avait abouti au vol de documents issus des informations judiciaires consacrées à l’assassinat de Samuel Paty et l’attentat de Charlie Hebdo.
De quoi écorner l’image que Florent Curtet s’est patiemment construite, lui qui est devenu un habitué des talk-shows grâce à son livre, Hacke-moi si tu peux (éditions du Cherche Midi, 2023). Dans ce document autobiographique vendu à 7 500 exemplaires, selon son éditeur, l’homme aux cheveux mi-longs et aux lunettes épaisses relate ses errements juvéniles dans le carding, une technique permettant de détourner des identifiants volés de cartes bancaires pour s’enrichir illicitement. Puis sa rédemption.
Du Parisien à France Culture, la presse s’est montrée friande de son histoire – l’une de ses vidéos, sur la chaîne YouTube Legend, totalise 3,2 millions de vues. Depuis, il intervient parfois au micro de plusieurs médias comme expert sur les sujets de cybersécurité, jouant notamment de sa nouvelle carte de visite : cofondateur de Hackeurs sans frontières, une structure censée assister la sécurité informatique des organisations non gouvernementales (ONG). Selon l’intéressé, une série télévisée sur sa vie serait même en préparation.
Un passé aux contours flous
Sauf que dans ce récit à l’origine de son ascension médiatique, beaucoup de choses clochent. L’examen attentif de son parcours révèle une kyrielle d’approximations, entre faits d’armes exagérés et CV surgonflé. Remontons en mai 2023. Les journalistes de France Télévision viennent d’obtenir une belle exclusivité : pour le « 20 heures » de France 2, ils ont pu interviewer l’ancien pirate, qui commence la promotion de son livre. « A 17 ans, la CIA considère Florent Curtet comme le chef de la cybercriminalité en France », raconte la voix off du reportage, faisant référence au carding ayant valu au jeune pirate ses premiers déboires judiciaires.
La punchline est belle. Elle est pourtant doublement fausse. D’abord, comme le rappelle le magistrat instructeur dans l’ordonnance de renvoi dans l’affaire Everest, consultée par Le Monde, parce que la procédure ayant conduit à l’arrestation de Florent Curtet en 2007 pour ses activités de carding « n’impliquait pas » la CIA, qui n’a aucune compétence judiciaire, mais le United States Secret Service, une agence fédérale chargée notamment de la fraude financière. Bien moins glamour que la célèbre agence de renseignement américaine. Interrogé le 20 septembre par Le Monde, Florent Curtet confesse aujourd’hui une « erreur ». Depuis, il assure « s’efforcer de rectifier le tir ». Dans une interview accordée à une chaîne YouTube fin juillet, cela ne saute pourtant pas aux yeux : il y mentionne toujours l’implication de la CIA.
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