Effet d’annonce ou réelle percée ? Selon un article du Financial Times publié le 6 février dernier, les géants chinois Huawei et Semiconductor Manufacturing International Corp (SMIC) seraient sur le point de produire des semi-conducteurs de 7 et de 5 nanomètres (nm) dans les prochains mois, malgré les sanctions américaines. En Chine, Huawei aurait conçu ces puces produites dans les usines de Shanghai de SMIC, le plus grand producteur de puces électroniques du pays, selon « deux personnes familières du sujet » interrogées par nos confrères.
Depuis des années, Pékin cherche à « sortir l’industrie chinoise de la misère » et à produire lui-même les puces électroniques, ces composants indispensables à la fabrication de nos smartphones et des outils d’IA, en réponse au tour de vis de Washington. Les États-Unis, sur fonds de rivalité technologique, ont en effet mis en place, depuis octobre 2022, des contrôles aux exportations limitant drastiquement la vente de semi-conducteurs aux entreprises chinoises. L’objectif du pays est, en plus de couper net l’approvisionnement des géants chinois des smartphones, d’éradiquer l’ensemble de l’écosystème chinois des technologies de pointe, expliquait le New York Times en juillet dernier.
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La Chine n’a plus accès aux équipements de fabrication de puces
Et ces derniers mois, les règles se sont durcies. Invoquant des motifs de sécurité nationale, Joe Biden, le président américain, a renforcé les restrictions, en les étendant cette fois aux équipements de fabrication de puces de dernière génération. Les États-Unis ont également passé des accords avec les Pays-Bas et le Japon en début d’année dernière, afin que leurs champions nationaux (ASML Holding NV et Tokyo Electron Ltd, accessoirement les deux plus gros fournisseurs de machines de la planète) ne livrent plus de machines de fabrication de puces aux entreprises chinoises.
On sait qu’avant l’entrée en vigueur de ces nouvelles règles début janvier, la Chine a anticipé en commandant massivement des équipements. Et c’est grâce à ces machines que SMIC compte produire des puces de 7 nm, voire moins. Selon nos confrères, la ligne de production de Shanghai fabriquera des processeurs Kirin 7 nm, conçus par l’unité HiSilicon de Huawei. Ils seront destinés aux nouvelles versions des smartphones haut de gamme du géant chinois.
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Un véritable pied-de-nez au blocus américain
Aujourd’hui, les leaders des semi-conducteurs taïwanais et américains, TSMC et Nvidia, sont capables de fabriquer des puces de 3 nm, et bientôt de 2 nm. Le fait d’avoir des entreprises chinoises capables de produire des puces de 5 et 7 nm – ce que ces dernières n’ont pas officiellement confirmé – montre que l’industrie chinoise a toujours un train de retard. Mais elle ne serait plus très loin de fabriquer des semi-conducteurs de dernière génération : un véritable pied-de-nez au blocus américain.
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« Grâce aux nouveaux nodes de 5 nm (des nodes étant des finesses de gravures, NDLR), Huawei est bien en avance pour mettre à niveau ses nouveaux processeurs phares pour téléphones et centres de données », explique « une personne familiarisée avec les plans » interrogée par nos confrères. En août dernier, Huawei avait lancé son Mate 60 Pro, avec des puces de 7 nm. Son processeur Ascend 920 – censé concurrencer le H100 de Nvidia – atteindrait les 5 nm, ont assuré ces deux personnes interrogées par le Financial Times.
Des problèmes de coût et de qualité ?
Pour autant, cette avancée technologique ne se serait pas faite sans contraintes : selon trois personnes proches des entreprises chinoises, le coût de production serait plus important que celui de TSMC, le géant taïwanais. Ainsi, SMIC facturerait ses semi-conducteurs de 5 et de 7 nm 40 à 50 % plus chers que ne le fait TSMC. Les usines de SMIC auraient aussi un rendement des pièces expédiées aux clients moins important que celles de TSMC, détaillent nos confrères – suggérant qu’il y aurait plus de puces mises au rebut.
Autre problème, révélé par Reuters le 5 février dernier: il n’y aurait qu’une seule ligne de fabrication pour produire à la fois les processeurs destinés à l’IA (l’Ascend 920) et ceux destinés aux smartphones (Kirin), obligeant l’entreprise à ralentir la production de ces derniers au profit du marché de l’IA.
S’agit-il alors d’une réelle avancée, ou d’une simple démonstration de force, à la fois destinée à Pékin, qui investit massivement dans ses champions nationaux, et à Washington, s’interroge Douglas Fuller, un expert de l’industrie des semi-conducteurs chinois, interrogé par le Financial Times.
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Contactés, Huawei et SMIC ont refusé de répondre aux demandes de commentaires de nos confrères. À plus long terme, cette percée des entreprises chinoises pourrait ne pas aller au-delà de ces 7 ou 5 nm. Car les sociétés chinoises ont réussi à atteindre ce niveau grâce aux machines néerlandaises et japonaises. Maintenant que le robinet est coupé, et que l’achat de ces équipements est devenu impossible, Pékin va aussi devoir aussi rattraper son retard dans la fabrication des machines produisant les semi-conducteurs. Et sur ce terrain-là, le pays n’en serait qu’aux… 28 nm.
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