Le 5 août 1993, aux Etats-Unis, les premières boîtes d’un jeu d’un nouveau genre arrivent dans les magasins. Dans des paquets aux allures de pochettes-surprises, quinze ou soixante cartes, distribuées au hasard. Chaque joueur doit choisir avec soin lesquelles composeront son deck, le paquet de cartes avec lequel il affrontera ses adversaires, qui, comme lui, incarnent des sorciers pouvant faire appel à cinq types de magies différentes.
Il n’y a quasiment pas eu de publicité pour le lancement de Magic : l’assemblée (Magic : The Gathering, en anglais). Si Peter Adkison, l’éditeur, sent tout de suite le potentiel de cet étrange jeu qui se collectionne presque autant qu’il se joue, il est loin d’imaginer que, trente ans plus tard, Magic sera toujours l’un des jeux de société les plus populaires au monde, la fondation d’un empire ludique et le père spirituel de plusieurs dizaines d’autres jeux lui empruntant son concept de base. A ce moment-là, les créateurs ne conçoivent pas qu’une même personne puisse acheter plus d’une dizaine de paquets : les plus passionnés les achèteront bientôt par boîtes entières de trente-six.
Magic n’est pas le premier projet de son créateur, Richard Garfield, alors jeune professeur de mathématiques. Quand, en 1991, il rencontre Peter Adkison, un ingénieur chez Boeing à Seattle qui vient de créer sa PME d’édition de jeu, Wizards of the Coast, c’est en effet pour lui présenter un autre prototype : celui de Robo Rally. Adkison adore le concept, mais son édition serait trop onéreuse pour sa jeune entreprise. Il décline (Robo Rally sera publié en 1994, et connaîtra son propre succès) et demande à Garfield de travailler sur un jeu un peu moins ambitieux, aux parties courtes, qui pourrait se jouer sur une table de café ou dans les files d’attente des conventions de jeu de rôle.
Garfield commence alors à travailler sur un projet mêlant l’idée d’un jeu de cartes à un univers de jeu de rôle qu’il a développé. Il emprunte au jeu de plateau Rencontre cosmique l’idée que les cartes puissent ajouter de nouvelles règles en cours de partie ou contredire les règles générales, et imagine un jeu évolutif dans lequel chacun pourrait optimiser sa stratégie par le choix de ses cartes. En quelques mois, il développe un premier prototype, qu’il affinera ensuite jusqu’à la publication, près de deux ans plus tard.
Un empire ludique
Le succès commercial et critique est immédiat. En quelques semaines, le premier tirage d’un peu plus de deux millions de cartes est épuisé. Les rééditions successives puis les premières extensions (Arabian Nights, Antiquities, Legends) connaissent le même engouement.
Il vous reste 70.72% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.