« Historiquement, les moments d’inflexion technologique peuvent être très importants pour injecter de la concurrence dans les marchés. S’il y existe des acteurs dominants, une technologie totalement nouvelle peut les rendre partiellement obsolètes. Mais avec l’intelligence artificielle [IA], il y a déjà des inquiétudes [que cela ne soit pas le cas]. » Ce constat a été formulé le 3 novembre par Lina Khan, la présidente de la Federal Trade Commission (FTC), l’autorité américaine de la concurrence. Mme Khan répondait à l’agence Bloomberg, qui l’interrogeait sur le risque de voir reproduite dans l’IA la mainmise déjà établie sur le numérique par Google, Microsoft, Meta (Facebook, Instagram) et Amazon.
Cette question s’est aussi invitée au sommet sur les risques de l’IA organisé par Londres début novembre, pourtant initialement centré sur l’éventualité de voir des logiciels s’affranchir du contrôle humain, ou favoriser le lancement d’attaques informatiques et biologiques : « Nous courons le risque de voir encore renforcée la dominance d’une poignée d’acteurs privés sur nos économies et nos institutions », a alerté Amba Kak, directrice de l’AI Now Institute, une ONG qui étudie les implications sociales et éthiques de l’IA. Le ministre délégué français chargé du numérique, Jean-Noël Barrot, s’est, lui, inquiété de la « constitution de monopoles », alors qu’une lettre signée de nombreux chercheurs et de dirigeants de start-up mettait en garde contre la « concentration de pouvoir » dans l’IA.
« Le gouvernement américain a raison de s’inquiéter de l’équité dans le secteur. Le favoritisme pourrait tuer la concurrence et priver de choix le consommateur », a aussi estimé Garry Tan, le patron de l’incubateur de start-up de la Silicon Valley Y Combinator, le 4 novembre. Ce discours rappelle l’accusation formulée contre les géants du numérique d’avoir parfois favorisé leurs propres services sur leurs moteurs de recherche, environnements mobiles, plates-formes d’e-commerce, etc.
Pourtant, l’essor récent de l’IA a fait émerger de nouveaux acteurs et dirigeants, comme OpenAI, le créateur du robot conversationnel ChatGPT, et Sam Altman, son PDG de 38 ans. Mais la start-up est déjà très liée à Microsoft, qui y a investi 11 milliards de dollars (10,3 milliards d’euros). Cofondateur d’OpenAI, l’homme d’affaires Elon Musk a déploré en février que ce projet, conçu comme un « contrepoids à Google », soit aujourd’hui « contrôlé par Microsoft ».
Manque de garde-fous spécifiques
Si M. Altman est allé chercher ce poids lourd du cloud – les services en ligne pour entreprises –, c’est dans le but d’avoir accès à ses énormes capacités de calcul nécessaires dans l’IA : faire tourner ChatGPT coûtait déjà 700 000 dollars par jour en février, selon le site SemiAnalysis. Autre start-up du secteur de l’IA, Anthropic vient d’accepter 4 milliards de dollars d’investissement de la part d’Amazon et 2 milliards de Google. Actionnaires d’OpenAI ou d’Anthropic, les deux multinationales commercialisent d’ailleurs leurs modèles d’IA auprès de leurs propres clients.
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