Au Montana, le ciel est immense, seulement bordé à l’ouest par les montagnes Rocheuses. Mais, manifestement, l’horizon du « Big Sky Country », comme on le surnomme, s’arrête aux frontières de la Chine. De peur qu’à Pékin on ne se délecte des discussions enflammées entre adolescents de Billings, sa plus grande ville, le Montana est devenu le premier Etat américain à interdire TikTok.
L’application préférée des moins de 25 ans (60 % de son audience) sera interdite de téléchargement sur tout son territoire à partir du 1er janvier 2024. En représailles, la société chinoise a porté plainte officiellement ce lundi 22 mai. Selon le groupe, cette décision enfreint le premier amendement américain sur la liberté de parole.
Comme le sparadrap du capitaine Haddock, l’affaire TikTok colle aux doigts des politiques américains sans qu’ils sachent comment s’en dépêtrer. Donald Trump avait tenté une première fois d’interdire l’application, en août 2020, puis de la faire acheter par une société américaine. Le Congrès américain s’est emparé de l’affaire, a longuement auditionné le PDG de l’application, Shou Zi Chew.
Caractère addictif
Avec deux griefs principaux. D’une part, les données récoltées par ses 150 millions d’utilisateurs aux Etats-Unis sont transmises en Chine. D’autre part, son contenu et son caractère addictif sont de nature à pervertir la jeunesse américaine.
De fait, l’application a, depuis plus de deux ans, totalement détrôné Facebook, et même Instagram, dans le cœur des adolescents américains et du monde entier. Si son contenu n’est pas fondamentalement différent, c’est la nationalité de la société qui provoque cette fièvre. La haine de la Chine est aujourd’hui le seul sujet véritablement transpartisan aux Etats-Unis. Ces accusations ne sont pas aussi infondées que ne le proclame son patron.
Dans un article très fouillé, Cristina Criddle, journaliste au Financial Times, raconte comment elle a été espionnée par l’intermédiaire de son compte TikTok, avec suivi de ses déplacements et de ses communications pour tenter d’identifier les sources internes qui lui donnaient des détails sur les pratiques managériales de l’entreprise. Et aussi sur les échanges de données avec Pékin.
Pourtant, après plus de deux ans d’invectives et de poursuites, rien ne se passe à Washington. L’Inde a été le premier Etat à interdire l’application, en 2020, et plusieurs pays occidentaux l’ont bannie des téléphones portables des fonctionnaires. Mais toucher aux smartphones des adolescents est une autre affaire. Il apparaît que cette démondialisation soft, qui touche la culture de toute une génération, est encore plus difficile à réaliser qu’avec les puces électroniques.