L’Assemblée nationale doit se moderniser et se numériser

L’Assemblée nationale doit se moderniser et se numériser



Être entre deux rédactions permet d’avoir deux points de vue différents.

L’Assemblée nationale, en panne d’inspiration

C’est assez rare que je couvre un même sujet à la fois pour Projet Arcadie et ZDNet et quand cela arrive, cela concerne les textes de loi. Aujourd’hui, je vais plutôt parler de mon lieu de travail, si je peux l’appeler ainsi : l’Assemblée nationale.

Le contexte : France Info/Radio France indique que 47 millions d’euros seraient prévus pour améliorer l’accueil des visiteurs à l’Assemblée nationale. Motif : améliorer la transparence.

En soi, ce n’est pas une mauvaise idée. Mais, il y a d’autres urgences. Parmi ces urgences : l’accès virtuel à l’Assemblée nationale.

Le portail vidéo de l’Assemblée nationale : des serveurs dignes des années 90

Si vous n’êtes pas familier des séances à l’Assemblée nationale, vous ne le savez peut-être pas. L’institution possède un portail vidéo, grâce auquel on peut regarder les séances, aussi bien en hémicycle qu’en commission.

Sauf que personne ou presque ne s’en sert pour regarder les « directs ». Pourquoi ? Parce que les serveurs sont tellement à la ramasse qu’il y a un différé qui va de cinq secondes à cinq minutes. En début de séance, c’est quelques secondes et en fin de séance, je suis déjà arrivée à dix minutes de différé avec le réel.

Quelle importance me direz-vous ? Le suivi des amendements. Un de nos outils de travail s’appelle Eliasse. Il s’agit d’une application Web qui permet de suivre en temps réel, l’examen des amendements.

Un différé de cinq secondes n’est pas problématique. Quand il est de cinq minutes, Eliasse est totalement désynchronisé et on perd le fil. Conséquence : tout le monde est dépendant du flux vidéo mis en ligne sur X (anciennement Twitter). Question souveraineté numérique, on repassera.

Un site mal configuré

S’il n’y avait que le portail vidéo, on pourrait se dire que c’est un détail. Il n’y a pas que le portail vidéo. Depuis plusieurs mois maintenant, le site de l’Assemblée nationale rencontre très fréquemment des erreurs 503, surtout en plein milieu de journée.

L’ancienne version du site était certes vieillotte, mais elle fonctionnait. La version actuelle est bourrée de scripts et de vidéos, qui rendent la navigation très lente, même avec la fibre. Le temps de chargement de la page d’accueil est long.

À titre d’exemple, la lecture des 1780 amendements déposés sur le projet de loi de finances (PLF) pour 2025, lundi, était tellement laborieuse sur le site que ça allait plus vite de télécharger les liasses d’amendements au format PDF. Soit 3 415 pages.

Une retranscription externalisée et lente

Autre sujet en lien avec le numérique et les ressources humaines : les comptes-rendus. Matériellement, on ne peut pas tout suivre. Donc, on se rattrape avec les comptes-rendus écrits. Sauf que leur rédaction, pour les commissions permanentes, est apparemment externalisée. Résultat, il peut parfois se dérouler une semaine avant qu’on ait le texte. Quand on est pressé, on télécharge la vidéo, on extrait le son, on le passe dans un logiciel de retranscription et on lit le texte.

La transparence passe d’abord par l’écrit des séances et des commissions. Les bâtiments, c’est bien, mais jusqu’à preuve du contraire, on n’a jamais entendu les bustes de la salle des Quatre Colonnes parler*.

Il y a la vidéo, les comptes-rendus, la navigation et il y a le sujet qui a donné naissance à Projet Arcadie : l’open-data.

L’open-data parlementaire : l’un des chantiers toujours en souffrance

Je planche sur une extension ou amélioration du site. J’ai donc replongé dans les répertoires open-data de l’Assemblée nationale. Indépendance des chambres parlementaires oblige, les données sont différentes entre l’Assemblée nationale et le Sénat. Le schéma des données est différent. La disponibilité des données est différente.

Et surtout, elles sont toujours parcellaires et nécessitent une certaine maîtrise technique. Aujourd’hui, je n’ai plus de difficultés avec les formats XML et JSON et je bricole en Python grâce à ChatGPT. Mais, dans un temps pas si ancien, j’avais besoin de CSV pour travailler. J’ai mesuré ma douleur.

Du côté des agents, on m’a dit de faire ma liste de Noël et lors de la première réunion de l’association des journalistes parlementaires, la présidente de l’Assemblée nationale m’a redit que je pouvais adresser mes demandes.

Sauf que je ne devrais pas avoir à demander en fait.

Des données difficilement exploitables

On devrait avoir des données exploitables simplement. Reprenons mon exemple des amendements au PLF pour 2025. Je voulais faire des statistiques par groupe et par auteur, afin de voir qui avait abusé de l’extranet.

On peut désormais télécharger les amendements par dossier législatif. Dans le CSV, l’auteur est indiqué en toutes lettres. Mais, ni son groupe ni le texte de son amendement. Pourquoi est-ce important ? En dehors de la simple statistique, cela permet de voir qui a copié sur qui.

Pour cela, il faut télécharger la liasse complète des amendements. En début de législature, comme maintenant, c’est faisable. On en reparlera dans six mois. Autre problématique : dans les fichiers open-data de l’Assemblée nationale, les députés sont indiqués grâce à un matricule, tout comme les différents organes.

Là encore, quand on a l’habitude, on sait manier ces informations. Mais, cela demande un travail d’apprentissage, attendu que les amendements ne sont qu’une partie du travail parlementaire.

Un gaspillage d’argent

Cela peut paraître étonnant que je « tire » sur l’Assemblée nationale, alors que je suis souvent la première à monter au créneau pour défendre l’institution. Mais là, la pilule ne passe pas. Faisant désormais partie de l’heureuse famille des « badgés permanents », je passe plus de temps au Palais Bourbon. J’en vois les dysfonctionnements.

La transparence et la pédagogie, cela ne se décrète pas et ce n’est pas en permettant à trois touristes de venir faire le tour de la maison que cela va les réconcilier avec la politique. C’est du vent.

Si on veut les réconcilier, il faut commencer par arrêter de faire des séances publiques, avec un hémicycle à moitié vide. Cela passe par une réorganisation complète de l’agenda, avec des moments sanctuarisés, bien établis à l’avance. Comme en Allemagne ou au Parlement européen. Cela passe par des textes à peu près bien écrits et lisibles pour le commun des mortels. Comme en Espagne. Cela passe par des frais de mandats transparents et publics. Comme au Royaume-Uni.

Des exemples qui ne coûtent pas cher pour améliorer la transparence de l’Assemblée nationale, il y en a beaucoup. Quitte à dépenser de l’argent, on peut déjà se pencher sur les chantiers existants.

*Si le buste de Jean Jaurès se met à me parler, je promets de vous en faire un compte-rendu.



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