Alors qu’Orange pensait avoir définitivement clos la crise dite des suicides avec la condamnation définitive de son ancien PDG, Didier Lombard, une enquête révèle une nette détérioration des conditions de travail et du climat social chez l’opérateur historique.
Cette enquête triennale menée par le Comité National de Prévention du Stress (CNPS) et réalisée par le cabinet d’expertise Secafi pose un constat implacable. Avec plus de 32 000 réponses des salariés d’Orange en France, soit un taux de participation de 55 %, il dresse un état des lieux précis.
Tous les indicateurs de risques psychosociaux étudiés reculent qu’il s’agisse du sentiment d’insécurité professionnel, de la fierté d’appartenance ou de l’autonomie au travail. L’intensité au travail reste, lui, à niveau élevé, comparable à 2012.
Des tâches de plus en plus complexes
Les tâches à moindre valeur ajoutée étant délocalisées, les missions confiés aux salariés d’Orange en France sont de plus en plus complexes, constate Secafi. Et comme l’offshore ou l’automatisation ne fonctionnent pas toujours, ils doivent contrôler les tâches sous-traitées ou automatisées voire les reprendre.
Mal anticipés, les départs en préretraite conduisent à un dépeuplement de certains services. A cela s’ajoute des dysfonctionnements organisationnels, avec « des procédures de travail de plus en plus mal définies » et des « services qui coopèrent mal entre eux ». En revanche, les métiers en contact avec les clients dans les boutiques ne sont plus que 33 % à ressentir du stress contre 53 % lors de la dernière enquête.
Autre tendance positive, les manager de proximité son toujours appréciés par leurs équipes mais quand ils doivent porter la politique de l’entreprise, la relation se tend. Ce qui se traduit notamment par une augmentation des violences verbales de la part de leurs subordonnés.
Globalement, « ces managers de proximité considèrent être écoutés de leur propre hiérarchie, mais leur ressenti de pouvoir influencer les transformations se réduit. » 61% estiment que leur avis est réellement pris en compte contre 65 % lors de la précédente étude.
Plan de départs volontaires et nouvelle vague de suicides
En ce qui concerne la baisse de la fierté d’appartenance (- 19 points), déjà initiée en 2021, Secafi l’explique par la mise en place du plan de départs volontaires chez Orange Business, une première dans l’histoire de l’entreprise. Alors que les effectifs Orange SA ont fondu de 20 % (-13 516 salariés), entre 2021 et 2024, les réorganisations sont globalement perçues comme plus nombreuses et moins bien accompagnées.
Le cabinet d’expertise note qu’Orange a également connu dans les mois qui ont précédé l’enquête, « un certain nombre de situations suicidaires », dont un cas aurait été reconnu comme accident du travail. Ces gestes désespérés ont suscité « une légitime émotion dans l’entreprise ».
L’étude met aussi en évidence une aggravation spectaculaire de l’inquiétude pour l’emploi, avec une chute de 33 points, soit un score inférieur à 2009. 67 % des salariés considèrent « être en train de vivre ou s’attendre à vivre un changement indésirable dans leur situation de travail ».
Des salariés dépassés par les évolutions technologiques
Près d’un tiers des répondants considère que « leurs savoir-faire sont dépassés » et 35 % que les évolutions technologiques vont permettre de les remplacer. Le nouvel accord de gestion de l’emploi et des parcours professionnels (GEPP), signé avec les partenaires sociaux le 10 février, doit justement permettre d’anticiper les besoins en compétences de l’opérateur.
Plus généralement, le cabinet Secafi note chez les salariés d’Orange en France « un immense besoin d’être écoutés ». Un nombre croissant d’entre eux ont répondu à la question ouverte de fin d’enquête « Avez-vous quelque chose à ajouter sur vos conditions de travail, l’organisation de votre travail, les évolutions depuis 3 ans et sur vos souhaits d’amélioration ? »
Dans ces 2 500 pages de verbatims, les employés de l’opérateur évoquent la difficulté de se concentrer dans les espaces de travail organisés en flex office, une politique salariale jugée insuffisante, « des promotions dont la transparence laisse à désirer », mais aussi , « une stratégie de l’entreprise jugée court-termiste » ou « une méconnaissance de la contribution réelle de chacun par le management ».