Les promesses du multicloud sont désormais bien connues. En ne mettant pas tous leurs œufs dans le même nuage, une entreprise réduit sa dépendance aux acteurs du marché. Elle peut basculer d’un cloud public à l’autre en fonction de la politique tarifaire, des performances ou de la qualité de service proposées, à un moment donné, par tel ou tel provider.
Les providers s’engagent contractuellement à cette portabilité. Dans les faits, les conditions techniques ou économiques pour l’assurer sont plus difficiles à réunir. S’il est facile de souscrire en quelques clics à un service cloud, la sortie est plus difficile à trouver. Une fois ses données dans un cloud public, les coûts liés à leur rapatriement peuvent se révéler rédhibitoires.
Avec son projet de loi portant sur la régulation de l’espace numérique, Jean-Noël Barrot, ministre délégué chargé de la Transition numérique et des Télécommunications, entend réduire la dépendance des entreprises aux fournisseurs de cloud et tout particulièrement aux hyperscalers américains.
71 % du marché accaparé par les trois hyperscalers
En dépit de la présence de fleurons nationaux comme OVHcloud, 3D Outscale et Scaleway, Amazon Web Services (AWS), Microsoft Azure et Google Cloud accaparent 71 % du marché français du cloud, dont 47 % pour le seul AWS. La position dominante de ce « triopole » et leur politique agressive par les prix entraveraient l’émergence de nouveaux acteurs.
Le texte rappelle que des pratiques abusives ont été constatées par le régulateur, en France mais aussi aux Pays-Bas ou au Royaume-Uni. Par ailleurs, les frais de transfert de données ont un effet dissuasif et « bloquent les clients artificiellement ». « Pour changer de fournisseur cloud, une entreprise doit payer des frais représentant 125 % de son coût d’abonnement annuel », avance le gouvernement dans son dossier de presse.
Pour éviter que les entreprises ne revivent la situation de dépendance à un seul fournisseur (« vendor lock-in ») qu’elles ont connue dans le monde des logiciels propriétaires et notamment des ERP, le projet de loi envisage d’interdire les frais de transfert de données lors d’un changement de provider. Le non-respect de cette interdiction sera sanctionné d’une amende allant jusqu’à un million d’euros, et de deux millions d’euros en cas de récidive.
Interrogée sur le texte, l’Autorité de la concurrence partage l’avis du gouvernement sur les effets anticoncurrentiels de ces « egress fees » et le risque de verrouillage de la clientèle qu’elle entraîne « en rendant plus difficile la migration des services de cloud vers un autre fournisseur ou de recourir à plusieurs fournisseurs à la fois ».
Selon elle, le projet de loi devra toutefois « s’assurer de la bonne articulation des mesures envisagées avec le futur cadre européen », en l’occurrence le règlement sur les données (Data Act), et prévoir a minima « l’application d’une période de transition dans la suppression progressive de ces frais ».
Réunir les conditions de l’interopérabilité
Plus vague, le texte du gouvernement entend garantir « l’interopérabilité des services cloud afin de concrétiser le droit à la portabilité des données d’une entreprise chez un autre fournisseur ou d’avoir plusieurs fournisseurs pour réduire sa dépendance. »
Sur ce point, l’Autorité de la concurrence attend des précisons sur « la mise en place de standards et de spécifications techniques ouvertes » qui seront apportées par décrets. Au niveau européen, le projet communautaire Gaia-X vise déjà à assurer l’interopérabilité des services cloud existants sur la base de standards communs.
Par ailleurs, le projet de loi prévoit de limiter dans le temps « la pratique des crédits cloud (avoirs commerciaux) afin de réduire les incitations économiques en phase de développement à dépendre d’un seul fournisseur. » Une petite révolution dans le modèle économique des acteurs du cloud.
L’Autorité de la concurrence recommande de faire le distinguo « entre les crédits cloud offerts sous forme de test ou d’essai gratuits limités à une durée de quelques mois et les crédits cloud proposés sous forme de programmes d’accompagnement des entreprises, qui ont une valeur et une durée substantiellement plus élevées. »
L’Autorité évoque, sur ce second aspect, le piège empoisonné des crédits gratuits que proposent les géants du cloud dans le cadre de leurs programmes de soutien aux startups françaises. Une fois celles-ci dans le cloud d’AWS ou de Google Cloud, le retour en arrière est compliqué voire impossible et, entretemps, les jeunes pousses seront devenues des scale-up, en mesure de payer les service cloud au prix fort.
Il y a plus d’un an, OVHcloud a, lui, porté plainte contre Microsoft auprès de la Commission européenne pour abus de position dominante sur un autre point. Comme l’explique The Wall Street Journal, l’hébergeur français reproche à la firme de Redmond ses pratiques commerciales liées la vente d’offres de cloud avec d’autres produits, en l’occurrence sa suite collaborative Microsoft 365.