Des dizaines de journalistes et de militants ont été surveillées en Jordanie depuis quatre ans grâce au logiciel espion Pegasus, révèle, jeudi 1er février, une enquête conjointe de l’ONG de défense des droits Access Now et du Citizen Lab de l’université de Toronto, spécialisé dans la détection des logiciels espions. L’enquête montre que les téléphones d’au moins trente-cinq personnes ont été ciblés ou infectés par Pegasus en Jordanie depuis 2019. Toutes sont des membres de la société civile. Il y a notamment parmi elles quatorze journalistes et employés de médias, mais aussi des militants associatifs, des avocats et un homme politique.
Si Access Now n’établit pas la responsabilité de l’Etat jordanien dans l’espionnage mis en place, l’ONG souligne que la Jordanie a « accentué sa répression vis-à-vis des droits des citoyens et de leur liberté d’expression, d’association et de réunion ». Pour le journaliste américano-palestinien Daoud Kuttab, dont le téléphone a été visé à trois reprises par Pegasus, le risque le plus important est de voir ses sources révélées. « Je ne veux pas leur infliger du tort », a-t-il déclaré à l’Agence France-Presse (AFP). « Avant, les gens pouvaient surprendre vos conversations. Désormais, Pegasus est beaucoup plus intrusif », a-t-il insisté. Selon lui, la majorité des journalistes qui travaillent au Proche-Orient s’attendent à voir leur téléphone surveillé.
D’après Access Now, la plupart des cas d’espionnage découverts en Jordanie sont survenus entre le début de l’année 2020 et la fin de 2023. Ils seraient liés, à des degrés divers, à une grève menée par les enseignants en 2019 dans le pays. Cette mobilisation avait conduit à l’arrestation de centaines de professeurs.
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Scandales de surveillance à répétition
Le logiciel Pegasus, conçu par la société israélienne NSO et capable d’accéder au micro et à la caméra d’un téléphone ainsi qu’à ses fichiers, était au cœur d’un scandale révélé en 2021 par un consortium de rédactions internationales, dont celle du Monde, coordonnées par l’organisation française Forbidden Stories. Ces enquêtes avaient mis en évidence la surveillance de centaines de personnes dans le monde, dont des journalistes et des membres du gouvernement français, pour le compte d’une dizaine d’Etats.
Malgré ce scandale, les sociétés de surveillance demeurent peu régulées, commente la responsable du plaidoyer au Proche-Orient d’Access Now, Marwa Fatafta. « Les gouvernements se jettent sur leurs technologies pour espionner leurs citoyens et opprimer la société civile », a-t-elle déclaré à l’AFP. « Il n’existe pas d’utilisation proportionnée des logiciels espions », insiste Marwa Fatafta, dont l’ONG appelle à l’interdiction totale. La société NSO, qui édite Pegasus, est visée par de nombreuses plaintes. Elle assure ne vendre son logiciel qu’à des fins de lutte contre le crime organisé et le terrorisme.