Tribune libre par Aaron Begner, Directeur général de Forter pour la région EMEA
Remarque : les propos tenus ici n’engagent pas la rédaction de GNT, mais constituent un avis éclairé de la part d’un expert dans son domaine que nous avons jugé opportun de vous faire partager. Il ne s’agit pas d’un article promotionnel, aucun lien financier ou autre n’existant entre cette société et GNT, le seul intérêt étant de vous apporter un éclairage intéressant sur un domaine particulier.
Le métavers (Metaverse en anglais) est un ensemble d’univers virtuels 3D créé par de multiples entités et axé sur les connexions sociales où se fondent les environnements réels et virtuels. Grâce aux outils de réalité virtuelle et augmentée (RV / RA), le métavers a pour vocation d’offrir un nouveau lieu où les consommateurs et les marques pourront travailler, apprendre, se divertir, faire des achats et créer un « Internet incarné ».
Le potentiel du métavers est tel que Mark Zuckerberg a rebaptisé Meta la société mère de Facebook afin de positionner ce nouvel univers au centre de tout ce que produit l’entreprise, de fournir un monde virtuel en évolution permanente à ses quelque 3,6 milliards d’utilisateurs actifs mensuels dans ses différentes applications sociales, et de transformer par la même occasion l’expérience du commerce mobile (mCommerce).
Ce virage n’a bien sûr pas échappé aux enseignes de la grande distribution. Selon les statistiques de la Fédération du e-commerce et de la vente à distance (FEVAD), le commerce électronique a fortement progressé en France au cours de la pandémie de COVID. Les ventes en ligne ont en effet gagné près de 4 points, passant de 9,8 % en 2019 à 13,4 % en 2020. Pour sa part, la vente en ligne de produits a enregistré une croissance de 32 %. En résumé, les possibilités d’offrir à toutes sortes d’utilisateurs — nouveaux et existants — des expériences d’achat exaltantes et inédites dans une nouvelle dimension du commerce électronique semblent infinies.
Mais face au potentiel du métavers à transformer la façon dont les marques interagissent avec leurs clients, quelles sont les possibilités — et bien sûr les risques — qui s’offrent aux enseignes qui chercheront à reproduire virtuellement les expériences vécues par leurs clients dans les magasins traditionnels et sur les sites de e-commerce actuels ?
Vers une expérience cliente unique ?
C’est un fait, de plus en plus de marques cherchent à approfondir leurs relations avec leurs clients en reproduisant dans le métavers l’expérience vécue en boutique. Des enseignes de renom telles que Ralph Lauren, Zara et même la chaîne Walmart ont récemment annoncé le lancement de magasins virtuels où les clients peuvent « interagir » avec des vêtements et les essayer, avant de poursuivre leurs emplettes physiquement ou en ligne.
La fusion des univers physique et numérique induit une nouvelle définition du shopping : à titre d’exemple, Samsung a dévoilé sa boutique virtuelle en septembre dernier, « construite » sur le modèle de son magasin situé à New York.
L’univers virtuel offre aux marques un espace où elles peuvent tester de nouveaux produits, styles ou coloris dans un environnement familier en vue de mesurer l’intérêt des consommateurs avant de lancer la fabrication d’un article. L’établissement d’un lien entre espaces numérique et virtuel, ainsi que l’amélioration de l’expérience client sur tous les canaux, présente des avantages majeurs : passer des commandes plus précises, réduire les excédents de stocks, ou répondre avec une plus grande exactitude aux attentes des consommateurs.
La technologie des jumeaux numériques permet de créer la version virtuelle d’une maison, d’un magasin, de bureaux ou même de clients, et ainsi de nouer des liens transparents entre les mondes physique et virtuel. À titre d’exemple, les consommateurs pourront visualiser et interagir avec des produits tels que des meubles IKEA sans quitter leur canapé, mais également visiter des points de vente « jumelés » et tester les produits avant de les acquérir physiquement. Une telle évolution permettra aux entreprises de réduire considérablement leurs taux de retour et d’améliorer l’expérience client au sens large en rationalisant le monde réel grâce au virtuel.
Au-delà des jumeaux numériques, les utilisateurs du métavers auront également la possibilité de créer des avatars potentiellement différents de leurs utilisateurs, que ce soit sur le plan de l’identité, du style, des comportements et des choix sociétaux, comme c’est le cas dans Roblox ou Fortnite. Cette possibilité d’utiliser plusieurs identités dans le métavers permet aux commerçants d’interagir avec un public de plus en plus large et aux besoins individuels variés. L’apparition de nouveaux groupes de consommateurs va de pair avec l’invention de nouvelles méthodes pour mieux les cibler. Les marques devront alors convertir les consommateurs physiques au numérique, mais également les nouveaux consommateurs numériques (avatars) à l’univers physique.
Il est logique que les marques adoptent cette technologie innovante et découvrent les formidables possibilités offertes par ce terrain de jeu expérimental, prochaine étape de leur feuille de route de e-commerce, en dépit d’un coût prévisiblement élevé.
Des risques autour du métavers
Cependant, cette nouvelle « frontière numérique » est encore une terre largement inconnue. Certains consommateurs souhaitent tester des technologies passionnantes et innovantes, mais il incombe aux marques de minimiser les risques qu’ils encourent comme elles le feraient dans le monde physique, faute de quoi, elles s’exposent à des risques d’attaques et de fraude.
La possibilité de créer de multiples identités dans le métavers permet en effet aux escrocs de créer de faux profils ou de faire monter de fausses enchères sur des articles. Des bots automatisés peuvent être utilisés pour usurper l’identité d’utilisateurs légitimes, générant ainsi un trafic numérique inutile qui peut ralentir le fonctionnement de ces espaces virtuels, à l’image de l’activité des revendeurs dans le monde réel.
Les bots peuvent également faire baisser intentionnellement les prix des NFT (Non Fungible Tokens) en plaçant de fausses enchères et en annulant les enchères déjà acceptées. Ces articles sont ensuite réinscrits à un prix inférieur, puis récupérés par les revendeurs mal intentionnés. Ces fraudeurs peuvent également augmenter de façon intentionnelle le prix des NFT en remplaçant des jetons avec un contrat intelligent « bis » qui contourne les règles de vente habituelles, puis en revendant les articles à un prix supérieur sur un marché secondaire.
Cette technique est utilisée pour donner l’impression que la valeur des articles est plus élevée, mais elle crée également des tendances de marché artificielles, ce qui souligne l’ampleur du phénomène que rencontre déjà le commerce électronique dans le métavers. L’exploitation de telles vulnérabilités pourrait porter atteinte à la réputation des marques et décourager les utilisateurs de visiter ces « sites ». À une époque où l’incertitude gagne le métavers, les commerçants doivent veiller à entretenir un niveau de confiance élevé avec leurs clients en les incitant à explorer de nouveaux environnements sans crainte et en toute sécurité.
S’il est encore difficile de savoir comment l’activité frauduleuse va se développer et comment elle sera surveillée dans le métavers, les commerçants ont tout intérêt à faire preuve de proactivité et à anticiper les différentes éventualités. Pour que les marques continuent d’innover en faveur de la relation et de l’expérience client, les enseignes doivent comprendre les utilisateurs et les reconnaître en reliant les personae du monde réel aux personae numériques grâce à l’utilisation de technologies automatisées basées sur l’identité. Cette approche donnera aux commerçants les moyens de réagir rapidement et proactivement aux menaces nouvelles et émergentes. En l’état actuel des choses toutefois, c’est aux cybercriminels que profite l’absence de réglementations.
Juridiction et opérations financières dans le métavers
La technologie blockchain conjugue la sécurité et l’évolutivité nécessaires pour alimenter un réseau mondial sécurisé pour les paiements de gré à gré. Or, cette situation n’est pas sans poser des défis aux régulateurs. Un système de nœuds interconnectés qui traitent des transactions aux quatre coins du monde soulève nécessairement des interrogations quant à la manière dont un environnement virtuel tel que le métavers peut être réglementé. Les entreprises devront-elles se conformer aux lois et réglementations de plusieurs juridictions ? Qui régira cette réalité virtuelle ?
L’authentification est un autre sujet de discorde : comment les utilisateurs pourront-ils identifier les détaillants et les produits légitimes ? C’est à ce niveau que les NFT peuvent apporter une réponse. Un brevet déposé par Nike en 2019 associe à la blockchain Ethereum les chaussures et les vêtements à la virgule, fournissant une preuve d’authenticité pour les biens physiques. En fait, outre une preuve d’authenticité, cette méthode pourrait permettre aux marques de lier des marchandises physiques et numériques.
Selon une étude de Finder, 8 % des Français possédaient des cryptomonnaies en mars 2022. Les cryptomonnaies constituent à priori la méthode de paiement de prédilection du métavers, ce qui met en lumière les véritables enjeux auxquels les entreprises vont devoir répondre. Même s’il s’agit d’une monnaie émergente et encore loin d’être adoptée à grande échelle, les détaillants qui choisissent d’utiliser exclusivement les cryptomonnaies comme mode de paiement risquent de s’aliéner les consommateurs de masse, certains ne pouvant — ou ne voulant — pas adopter ces monnaies virtuelles.
Si les prestataires de services de paiement historiques décident d’opérer dans le métavers et d’offrir aux consommateurs la possibilité de régler leurs achats avec des monnaies réelles, à quelle vitesse l’ensemble de l’écosystème des paiements pourra-t-il s’adapter et authentifier les transactions ? À titre d’exemple, Mastercard a déjà fait part de son intention d’étendre son système de traitement des paiements au métavers.
Par ailleurs, cette évolution concernera-t-elle les moyens traditionnels d’authentification des paiements ? Des solutions automatiques basées sur l’identité seront-elles capables d’établir le lien entre les consommateurs réels et leurs jumeaux numériques ? Quoi qu’il en soit, l’incertitude générale qui entoure les réglementations et les paiements dans le métavers souligne la nécessité de faire preuve de prudence et d’une grande capacité d’adaptation.
Le métavers, un monde de possibilités
Le métavers est la principale technologie de rupture qu’ait connue le marché de la grande distribution depuis l’explosion du commerce numérique et le début de la pandémie. Le fait que cet environnement soit encore largement inconnu ouvre un monde de possibilités, mais également de dangers potentiels.
S’il est encore trop tôt pour évaluer pleinement l’impact de cette révolution, les gagnants du métavers ne seront pas nécessairement les premiers arrivés, mais probablement ceux qui sauront créer un environnement sûr tout en offrant à leurs clients une expérience unique et personnalisée.