Le droit et la justice sont le fondement de la vie en société, mais les juges sont des humains comme les autres et la constance de leurs décisions n’a rien de mécanique. Cette inconstance de la justice est à nouveau apparue ce lundi 11 décembre, quand un juge américain a condamné Google dans l’affaire l’opposant à la société Epic Games, éditeur du jeu à succès Fortnite. Ce dernier avait pourtant perdu dans un procès précédent, en 2021, sur de mêmes griefs portés par toujours par Epic, mais cette fois contre Apple. Dans les deux cas, il s’agissait de savoir si les deux géants abusaient de leur monopole sur les magasins d’applications dans les téléphones mobiles pour empêcher les concurrents de proposer d’autres solutions.
Epic veut installer son propre magasin pour commercialiser lui-même ses jeux sans payer un droit de passage exorbitant au playstore de Google ou à l’App Store d’Apple. Dans les deux cas, la commission est en effet de l’ordre de 30 % du prix des achats. Et il n’y a pas d’alternatives, la majorité des téléphones fonctionnant soit dans l’univers Google-Android, soit dans celui d’Apple-iOS.
Attention, on ne parle pas de petites sommes mais d’un marché de l’ordre de 500 milliards de dollars dont les deux gardiens, les « gate keepers » disent les Anglo-Saxons, contrôlent étroitement l’entrée. On appelle cela un « duopole », formule la plus achevée et stable du monopole. On apprend ainsi par le procès que Google aurait engrangé en 2021 près de 12 milliards de dollars (11,1 milliards d’euros) de profits sur cette seule activité, avec une marge de 70 %. Difficile de faire mieux. Pour Apple, c’est une partie substantielle de son activité services qui représente plus de 80 milliards de dollars de chiffre d’affaires.
Rente considérable
Selon le Wall Street Journal, les deux compères gagneraient plus d’argent sur les seuls jeux vidéo que les éditeurs Microsoft, Activision, Nintendo et Sony réunis. Des activités devenues essentielles face à la stagnation des ventes de smartphones dans le monde. Et pour cela, ils bloquent toute initiative concurrente au nom de l’intégrité de leurs systèmes d’exploitation. La connivence est telle que Google paie chaque année 20 milliards de dollars à Apple pour être son moteur de recherche par défaut.
Partout dans le monde, les autorités tentent de casser cette rente considérable. Le département de la justice américain conduit un procès historique contre Google et l’Union européenne élabore sa législation contre l’abus de pouvoir des gate keepers. Le monopole s’érode donc mais trop doucement. Cela prendra encore des années de bataille judiciaire. Les gardiens ne sont pas prêts à donner la clé de leur fortune.