L’année dernière, je suis tombée amoureuse d’un hôtel sur Majorque, où j’ai décidé de retourner cette année.
Calme et volupté… ou pas
Par le passé, il s’agissait d’un adult-only, ce qui me convenait très bien. Mais, le COVID est passé par là, l’hôtel a changé sa politique et a décidé d’accepter les familles. Si l’année dernière, elles n’étaient pas légion. Cette année, elles étaient beaucoup plus nombreuses et beaucoup plus envahissantes.
Ce qui a donné lieu à une algarade pas piquée des vers avec une britannique. De tous les endroits disponibles autour de la piscine, c’est à côté de moi qu’elle avait décidé de s’installer. Avec son bébé. Bébé qui évidemment donnait de la voix, vivement encouragée par sa mère.
Déjà excédée par deux idiotes qui faisaient défiler des vidéos TikTok sur haut-parleurs, je prends mon sac et lâche au passage, une injure en français.
Manque de bol : elle est britannique, elle devait au moins maîtriser les subtilités linguistiques françaises. Elle m’a hurlé dessus en me disant que sur Internet, c’était écrit que c’était un hôtel familial.
Je lui ai demandé où voyait-elle quelque chose de familial dans cet hôtel. Les coins en métal au ras du sol ? Le sol en marbre ? Les vitres de haut en bas ? L’absence d’aires de jeux pour les enfants ou de mini-club ? La présence d’alcool en accès libre au buffet du petit-déjeuner ?
Sauvée par la réception, j’ai migré dans le carré VIP de l’hôtel, uniquement aux plus de 18 ans. Carré dans lequel, les jours de grande affluence, nous sommes quinze à tout casser. Et où tout le monde a l’air fâché avec son smartphone. Seuls le bruit de l’eau et des petits moineaux venaient rompre le silence.
Biais cognitif
Mais cette situation m’a interpellé. Cette dame ne croyait pas ses propres yeux. Elle croyait trois commentaires sur le Web. Car, nulle part sur le site Internet de l’hôtel, il est indiqué qu’il convient aux familles.
Sur le site de l’hôtel, on propose spa, massage, différents services de beauté, une salle de sport, des cours de yoga et le fameux carré VIP.
Mais, vous ne verrez nulle part de mini-club, d’animateurs ou de jeux pour les enfants. Par ailleurs, les bouées sont interdites dans la piscine.
Est-ce le nœud du problème ? Les gens ont-ils arrêté de croire ce qu’ils voyaient au profit de ce qu’ils croyaient ? Je concède que la phrase est curieusement écrite.
Si ma prise de bec a eu une issue positive — un surclassement — je trouve inquiétant que les gens ne soient pas plus dubitatifs ou plus précautionneux. Est-ce une histoire de biais cognitif ? Si c’est sur Internet, c’est forcément vrai ? Comme lorsqu’on était plus jeune et que le logo « vu à la télé » était un gage de sérieux ?
Paradigme de Fox Mulder
En un sens, cela explique aussi pourquoi certaines rumeurs ou théories du complot fonctionnent aussi bien. On peut avancer des tonnes d’arguments intelligents, raisonnables, sourcés, corroborés, mais si en face de vous, vous avez quelqu’un qui a décidé qu’il ne voulait pas les entendre, parce qu’il a décidé de croire, c’est peine perdue.
C’est l’inverse du paradigme de Fox Mulder. Son poster disait « je veux croire ».
Mais, si vous avez attentivement regardé toute la série, vous voyez aussi qu’il traverse une phase de remise en question, puisque les preuves qu’il a sous les yeux ne correspondent pas à la vérité.
Bien sûr, les preuves en question étaient fausses, mais, il a eu la démarche de chercher, d’enquêter et non de croire, juste pour croire. C’est peut-être aussi pour cela que la série a si bien vieilli et peut toujours être regardée aujourd’hui : parce que Fox Mulder incarne quelque chose qui traverse les époques et les technologies.
Comment réintroduire plus de scepticisme dans l’esprit humain, surtout à une époque où les outils semblent avoir pris le pas sur la réflexion et le recul ? J’avoue ne pas avoir la réponse. Mais cela me laisse assez perplexe. Probablement que les gens n’ont pas simplement envie de croire, mais qu’ils en ont besoin pour ne pas avoir à affronter certaines réalités. Certainement que nos outils technologiques ont pris le pas sur les croyances religieuses, en fournissant un genre de prêt-à-penser bien pratique, qui évite de se remettre en question.
Ce n’est pas non plus une question de génération ou d’éducation. Je vois des adultes plus âgés que moi, avec un meilleur bagage universitaire que le mien, gober n’importe quoi, sans remise en cause, sans recul. C’est sur Facebook, c’est vrai. À l’inverse, j’ai des gens plus jeunes que moi ou moins diplômés que moi, dont le premier réflexe est de vérifier quand quelque chose leur paraît bizarre ou de demander des sources, des preuves, bref, des éléments tangibles.
Avec un peu de chance, d’ici mon prochain séjour, l’hôtel sera officiellement redevenu adult-only, même si ce surclassement était plus qu’apprécié.