le parcours chaotique du dernier jeu vidéo d’Ubisoft

le parcours chaotique du dernier jeu vidéo d’Ubisoft


Habituellement, la date de lancement d’un jeu vidéo est une information sans importance majeure. Mais quand on évoque Skull and Bones, elle fait figure d’événement : rares sont les titres à avoir été autant reportés que la dernière production d’Ubisoft. Depuis sa révélation en 2017, le jeu de piraterie a en effet été décalé à six reprises, pour finalement sortir le 16 février sur PC, PlayStation 5 et Xbox Series. Au total, onze ans ont fini par séparer la mise en chantier du projet et sa sortie, chaque fenêtre de sortie ratée n’a pas manqué de questionner sur les raisons de cette gestation anormalement longue.

A ses débuts en 2013, le titre est imaginé comme l’approfondissement des combats navals qui ponctuent Assassin’s Creed III (2012) et Assassin’s Creed IV : Black Flag (2013). Ces moments de jeu sont si appréciés et originaux qu’ils poussent les équipes créatives d’Ubisoft à imaginer un jeu de pirates à part entière. Le studio singapourien d’Ubisoft, jusque-là cantonné au rôle d’assistant sur les jeux menés par d’autres entités, prend la tête du projet.

Lorsque le titre est annoncé à l’occasion de l’Electronic Entertainment Expo (E3) de 2017, l’ancien salon du jeu vidéo de Los Angeles, le numéro un français du jeu vidéo fait des promesses qu’il ne pourra pas tenir. II vante une aventure solo en monde ouvert durant l’âge d’or de la piraterie, des combats par équipe à cinq contre cinq et un mode multijoueur coopératif en ligne. En coulisses, le titre n’est pourtant qu’un prototype et les équipes hésitent sur la direction à donner.

Dans la tempête

Les nombreux changements observés par les joueurs dans la version montrée à l’E3 2018, sur les modes de jeu et le maniement notamment, suscitent, avec les premiers reports, de nombreuses inquiétudes. Deux ans plus tard, une publication de la troisième directrice créative nommée sur le jeu, Elisabeth Pellen, confirme que Skull and Bones « a évolué par rapport à son idée originale ». L’enlisement se confirme, tandis que ces retards contraignent les équipes à d’importants efforts technologiques pour mettre le jeu au niveau des consoles de nouvelle génération, apparues fin 2020.

Pris dans le piège des attentes énormes créées par sa campagne marketing, Ubisoft verrouille alors la communication. En retour, à partir de 2020, la presse spécialisée se fait l’écho d’un développement douloureux pour ceux qui travaillent sur le projet. L’abandon de nombreuses idées pour se lancer, presque à partir de zéro, dans un jeu de survie multijoueur est révélé par le site Video Games Chronicle.

Aux tâtonnements s’ajoutent des accusations de harcèlement sexuel et moral contre le patron du studio singapourien, Hugues Ricour. Régulièrement accusé, il est muté à Ubisoft Paris au moment ou d’autres employés du groupe, qui font l’objet d’accusations similaires, sont poussés vers la sortie.

En juillet 2021, le site Kotaku publie une enquête fondée sur des témoignages anonymisés dénonçant une ambiance jugée toxique au sein d’Ubisoft Singapour. L’article, long et détaillé, évoque du surtravail, des discriminations salariales ainsi que du harcèlement moral et sexuel. Il alimente les critiques sur les conditions de travail chez l’éditeur et déclenche une enquête d’une agence singapourienne émanant du ministère du travail, des syndicats et du patronat. Toutefois, l’entité indépendante clôt en quelques mois l’affaire, estimant qu’Ubisoft a mis en place des mesures suffisantes pour garantir l’équité et la sécurité de ses employés.

« Skull and Bones » a adopté la formule du jeu « en tant que service ». A la manière de « Fortnite » ou « Apex Legends », l’aventure multijoueur en ligne évoluera au fil des saisons.

Dernières secousses

Pendant ce temps-là, les reports continuent. Ils alimentent le feuilleton d’une gestation chaotique évoquée sur le Web à grand renfort de métaphores maritimes peu flatteuses : production à la dérive, naufrage annoncé, projet qui va couler Ubisoft ou Titanic du jeu vidéo.

Le Monde

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Le moindre rebondissement est chroniqué. Le dernier en date a suscité une salve de moqueries envers le PDG et fondateur d’Ubisoft, Yves Guillemot, lorsqu’il a promis, le 8 février, à ses investisseurs un jeu « quadruple A ». Un terme inventé et une surenchère de l’expression « triple A » qui désigne les plus grosses productions du secteur vidéoludique. Certains y voient une référence au budget – jamais officiellement dévoilé – d’un jeu dont les onze ans de production ont sûrement engouffré des sommes considérables. Mais beaucoup expriment aussi un scepticisme justifié par tant de rendez-vous manqués et de cahiers des charges non respectés, parmi lesquels une série télévisée dont on est sans nouvelles.

Les promesses mirobolantes, si courantes dans le jeu vidéo, se sont en fin de compte heurtées à un accueil mitigé des premiers joueurs et des critiques. Evitant le ratage total autant que la réussite spectaculaire, le lancement de Skull and Bones offre une conclusion bien tiède à la légende noire qui l’a précédé.



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