Les prix des smartphones reconditionnés vont-ils augmenter à compter de Noël prochain ? C’est le scénario craint par la filière du reconditionnement français, qui s’inquiète de la future application de la « directive USB-C ». Cette loi européenne imposera le port USB-C à tous les appareils mis sur le marché européen à compter du 28 décembre 2024. Et pour les acteurs de la filière que nous avons interrogés, ils seront bientôt les (futures) victimes collatérales d’un texte vertueux pour les fabricants de smartphones neufs, mais « catastrophique pour les entreprises du reconditionnement de l’Hexagone et de l’Union européenne (UE) ».
Cette directive européenne menace le secteur, estime Reynold Simonnet, le vice-président du Sirrmiet, contacté par 01net.com. Le principal syndicat des reconditionneurs français a justement envoyé un courrier les ministères de Bruno Le Maire (économie), Olivia Grégoire (PME) et Marina Ferrari (numérique), « cosigné par ses membres, mais aussi par les acteurs élargis de la filière comme les distributeurs et les opérateurs ». Leur demande : que la filière du reconditionnement soit exemptée de la directive pendant quatre à cinq années. Ce laps de temps permettrait d’écouler les modèles de smartphones sans USB-C, jusqu’à retomber d’ici quatre ans sur l’iPhone 15, le premier smartphone d’Apple à avoir un connecteur USB-C, explique Reynold Simonnet.
« L’oubli » du législateur européen
À l’origine de l’alerte se trouve cette directive européenne de novembre 2022 qui vise à imposer le port USB-C à tous les appareils, rappelle Jean-Christophe Estoudre, fondateur du reconditionneur français Smaaart, joint par 01net.com. L’idée est d’imposer le même port aux constructeurs de produits neufs (smartphones, ordinateurs, tablette) pour les appareils mis sur le marché de l’Union européenne (UE). « Avoir un chargeur universel pour le neuf est très positif. Il s’agit d’une démarche qui préserve l’environnement », estime le chef d’entreprise.
Le texte européen a ensuite été transposé dans le droit français, via un arrêté et un décret de décembre 2023. Le problème est que l’application de cette loi repose sur le terme « mise sur le marché de l’UE », au sens large. Or, « l’Europe a oublié effectivement que dans ce terme, il y avait aussi des mises sur le marché de produits reconditionnés. Ce sont des produits anciens, pour lesquels les reconditionneurs ne maîtrisent pas la fabrication des produits et donc le type de connectique », précise l’homme à la tête de Smaaart.
Concrètement, le législateur européen n’aurait pas fait le distinguo entre neuf et reconditionné. Aujourd’hui, « la conséquence est que tous les produits sans USB-C ne pourront plus entrer sur le marché européen, dès Noël prochain. Ils vont se retrouver mis de côté : on ne pourra plus les reconditionner et les reproposer à un nouvel utilisateur », s’alarme Jean-Christophe Estoudre.
La filière s’approvisionne en grande partie hors de l’UE
Il faut bien comprendre que dans la filière du reconditionné, il existe deux grandes sources de smartphones à reconditionner : le premier provient des « brockers (grossistes, NDLR) internationaux, qui permettent d’avoir des volumes importants à reconditionner, provenant essentiellement des États-Unis où le leasing de smartphones est assez développé », nous explique Christophe Brunot, co-fondateur du reconditionneur français Largo. Le second provient « des programmes de reprise locaux – un gisement plus local qui ne répond qu’à environ 20 % de la demande ». Résultat, « on a besoin d’importer des produits pour répondre à la demande des consommateurs français », insiste le PDG de Largo.
Avec cette directive, moins de smartphones pourront être importés, ce qui va « générer une pénurie sur le marché européen. Et qui dit pénurie dit spéculation sur les programmes de reprise et donc sur les prix, et donc moins d’intérêts pour le smartphone reconditionné », détaille Christophe Brunot.
Le même scénario noir, pour l’instant hypothétique, est décrit par d’autres acteurs du secteur, y compris par ceux qui ont un sourcing 100 % français comme David Mignot, à la tête de YesYes. Les prix des appareils reconditionnés risquent en effet de monter, car tous les reconditionneurs vont vouloir s’approvisionner au même endroit. « Ce qui va entraîner une forte compétition, suivie d’une augmentation des prix du reconditionné pour le consommateur », souligne Reynold Simonnet, vice-président du Sirrmiet.
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Cette directive entraînera « une augmentation des prix du reconditionné, et un report sur le neuf »
Et avec ces augmentations de prix, on risque de voir les ventes de reconditionnés s’écrouler, ajoute-t-il. Car si l’écart entre le prix du neuf et le prix d’un produit reconditionné n’est pas suffisant (il faudrait à minima 15 % de différentiel), les consommateurs continueront d’acheter du neuf, poursuit le patron de Dipli, un service d’interface entre opérateurs et reconditionneurs. « Cette directive, qui a un objectif écologique, permet de résoudre le problème des câbles. Mais elle crée un problème plus important, qui est l’augmentation des prix du reconditionné et le report sur le neuf ».
De quoi constituer un véritable contre-sens écologique quand on sait que 80 % de l’impact environnemental du numérique aujourd’hui, c’est la fabrication du terminal. C’est simple : on va « à l’encontre de tout ce qui a pu être voté ces dernières années pour favoriser la consommation de seconde main », regrette Christophe Brunot, le co-fondateur de Largo.
De 22 modèles d’iPhone pouvant être importés à… 4
Concrètement, ce sont les produits Apple – qui ont un câble Lightning et non USB-C – que l’on ne pourra plus remettre sur le marché. Or, la marque à la pomme représente généralement une grande part des ventes de produits reconditionnés, rappelle Eric Cordon à la tête de QuelBonPlan, une place de marché qui ne répertorie que des reconditionneurs français. « À partir du 28 décembre, il ne sera plus possible de s’approvisionner sur des produits qui n’ont pas d’USB-C, donc toutes les gammes de produits qui sont vendus actuellement par les reconditionneurs, comme l’iPhone 11, 12, 13, 14, ne pourront plus être importées », s’alarme-t-il.
Le vice-président du Sirrmiet corrobore : « Aujourd’hui, il y a 22 modèles d’iPhone qui sont compatibles avec iOS 17. C’est la meilleure performance en termes d’obsolescence logicielle qui est pratiquée sur le marché. Au 28 décembre, on va devoir passer uniquement à 4 ». Le reste ne pourra pas être mis sur le marché européen. « Ils finiront à la poubelle. Il y aura donc plus d’équivalent carbone émis, et moins de pouvoir d’achat pour les consommateurs », résume Reynold Simonnet.
La directive « va être fatale à plein de boîtes françaises et européennes »
À côté de ce qui est décrit comme « un désastre environnemental », la filière va s’en trouver fragilisée, estime le patron de Dipli qui rappelle que le modèle économique des reconditionneurs français est loin d’être solide. « Là, on leur dit, à Noël en 2024, en 2025 et en 2026, vous allez vous séparer de 50 % de votre chiffre d’affaires » – car ce qu’on oublie, c’est que « les best-sellers reconditionnés aujourd’hui et jusqu’en 2026, ce seront des iPhone Lightning – sans USB-C – à savoir, les iPhone 11, 12, 13. C’est donc extrêmement brutal », souligne-t-il.
Pour le responsable syndical, il ne s’agit pas que d’une période transitoire. La directive « va être fatale à plein de boîtes françaises et européennes ». Le problème n’est en effet pas que franco-français. « Chez Dipli, on a des partenaires dans toute l’Europe. Donc, on couvre toute l’Union européenne. Et c’est le même son de cloche chez tout le monde. C’est-à-dire qu’il y a un vent de panique, vraiment, qui s’est propagé dans toute l’Union européenne ».
Au sein du gouvernement français, « nos interlocuteurs ont très bien compris ce qui se passait. Ils soutiennent totalement la filière du reconditionné », souligne Jean-Christophe Estoudre, à la tête de Smaaart. Reste qu’il s’agit d’une directive européenne qui nécessite une action de Bruxelles. Il faut donc convaincre le législateur européen, ajoute le PDG.
Contacté par 01net.com, le cabinet de Marina Ferrari, la secrétaire d’État au numérique, reconnaît que la directive « dont nous partageons l’ambition initiale » de « lutte contre l’augmentation des déchets électroniques » et de plus grande interopérabilité des équipements aura bien « un impact sur la filière française et européenne du reconditionnement des produits électroniques ». Ce dernier explique « travailler en ce moment même sur cette question, au niveau national, comme au niveau européen », évoquant « une troisième voie de bon sens ». L’objectif est de « ne laisser personne sans solution et ne pas mettre en péril cette filière à laquelle nous sommes attachés, tout en réaffirmant notre attachement au chargeur universel qui a été plébiscité par les consommateurs européens ».
Mais pour Jean-Christophe Estoudre de Smaaart, le problème serait plus profond : « cela fait déjà plusieurs fois qu’on a des lois qui ne concernent pas le reconditionné, mais qui sont appliquées au reconditionné. Ce que défend aussi le syndicat Sirrmiet, c’est qu’on soit identifié comme une filière à part et pas assimilé au neuf. Il manque, je pense, aujourd’hui, un statut juridique légal du reconditionné ».
Dans cette affaire, « on a vraiment l’impression d’être la cinquième roue du carrosse », regrette le vice-président du Sirrmiet. Pourtant, « le marché du reconditionné ne peut plus être ignoré. 20 % des ventes de smartphones aujourd’hui sont faites sur du reconditionné en France, dans un marché qui croît de 15 % par an », rappelle-t-il. Or jusqu’à présent, « on a l’impression d’être toujours sollicité à contrecoup. Et parfois, il est trop tard ».
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