Le Sénat a adopté, dans la nuit de mercredi 22 à jeudi 23 mai, une proposition de loi visant à renforcer l’arsenal de lutte contre les ingérences étrangères, un débat qui heurte de plein fouet l’actualité en Nouvelle-Calédonie, visée par une cyberattaque d’ampleur et par l’influence dénoncée de l’Azerbaïdjan.
Registre national de l’influence, gel des avoirs financiers, surveillance algorithmique élargie : la Chambre haute a très largement approuvé plusieurs mesures dans le cadre d’un texte de la majorité, déjà adopté à l’Assemblée nationale fin mars. « Avec cette proposition de loi, nous faisons la transparence sur les activités d’influence étrangère et nous nous donnons les moyens de détecter et de sanctionner les auteurs d’opérations de manipulation de l’information », a souligné le ministre chargé de l’Europe, Jean-Noël Barrot.
L’actualité calédonienne a éclairé les débats durant toute la soirée, avec en toile de fond l’accusation d’ingérence azerbaïdjanaise émise par le gouvernement et, surtout, la cyberattaque d’ampleur lancée mardi contre l’archipel pour tenter d’en saturer le réseau local. L’Agence française de sécurité informatique (Anssi) a invité à « l’extrême prudence » sur l’origine de cette attaque.
« Une nouvelle guerre a commencé »
Au Sénat, certains n’ont pas pris les mêmes précautions. « La dernière provocation de la Russie, qui n’a pas hésité (…) à mettre à bas l’ensemble du réseau Internet de Nouvelle-Calédonie, est un nouveau symbole de l’urgence à identifier et à combattre les ingérences étrangères dans notre pays », a alerté le sénateur Horizons Claude Malhuret, pour qui « une nouvelle guerre a commencé, que nous tardons à comprendre ».
Lui comme d’autres se sont également inquiétés de l’influence croissante de la Chine dans l’archipel, alors que le réseau social TikTok, dont la maison-mère est chinoise, y a été interdit mais que le gouvernement a été sommé de justifier sa mesure par le Conseil d’Etat. Certains ont également cité les « mains rouges » taguées sur le Mémorial de la Shoah ces derniers jours, une dégradation qui alimente également les soupçons de manipulation étrangère.
« La menace est aujourd’hui plus protéiforme, omniprésente, plus durable », a appuyé la sénatrice (rattachée Les Républicains) Agnès Canayer, en défendant ce texte qui offrira, selon elle, des « outils pour compléter l’arsenal juridique français ».
L’approbation du Palais du Luxembourg a été large, même si des sénateurs de nombreux bancs ont regretté que le texte ne soit qu’« une première approche » dans la lutte contre les ingérences étrangères. « Malheureusement, il aura fallu des faits dramatiques en Nouvelle-Calédonie pour que cette prise de conscience survienne d’un seul coup, pour que certains se rendent compte que lorsqu’on parle d’ingérences étatiques, ce n’est pas un mythe », a déploré la sénatrice socialiste Gisèle Jourda. « Ce texte est un tressaillement alors que nous aurions besoin d’un sursaut », a pointé l’élue, qui a échoué à élargir le champ de la loi avec un volet de « sensibilisation » auprès des jeunes et des élus locaux.
Une « culture de la surveillance »
Sur le fond, la proposition de loi entend instaurer une obligation pour des représentants d’intérêts étrangers qui font du lobbying en France de s’inscrire sur un registre national, avec un régime de sanctions pénales pour les contrevenants. Ce registre sera géré par la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP).
Autre mesure sensible mais adoptée, l’élargissement aux cas d’ingérences étrangères d’un dispositif expérimental de surveillance algorithmique lancé en 2015, destiné à repérer des données de connexions sur Internet. Cet outil, contesté par une partie de la gauche, qui craint une atteinte à la vie privée, est actuellement réservé uniquement à la finalité du terrorisme. « Face à cette culture de la surveillance, il est essentiel de reconnaître que l’algorithme n’est pas neutre et implique une certaine idéologie », a alerté Pascal Savoldelli, sénateur du groupe communiste, le seul ayant voté contre le texte.
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Le texte prévoit également la possibilité de geler des avoirs financiers de personnes, entreprises ou entités se livrant à des activités d’ingérence définies. Le Sénat a également introduit une « circonstance aggravante » dans le code pénal pour les crimes et délits « commis dans le but de servir les intérêts d’une puissance étrangère, d’une entreprise ou d’une organisation étrangère ».
Sénateurs et députés ayant abouti à un texte légèrement différent, ils devront désormais s’accorder sur une version de compromis lors d’une commission mixte paritaire.