A l’évocation d’Odette, le regard de Marine (les prénoms ont été changés) se voile. Elle est inquiète pour les finances et même la santé mentale de sa mère. Depuis des années et la mort de son mari, Odette écrit presque tous les jours à un certain Chris. Ce confident est devenu si important qu’elle ne supporte pas d’oublier son téléphone portable, de peur de manquer ses courriels. Mais Chris n’est pas un simple correspondant : il se dit aussi « voyant » et monnaie ses prestations. Marine, que Le Monde a rencontrée longuement, n’a jamais réussi à connaître les sommes déboursées par sa mère malgré ses difficultés financières. A chaque fois qu’elle a abordé le sujet, les disputes ont été homériques.
Pourtant, Chris n’a jamais entendu parler d’Odette. La quasi-totalité des messages qui parviennent à la retraitée sont écrits à la chaîne. Des centaines de personnes les reçoivent au même moment et Odette n’est qu’une ligne dans une gigantesque base de données d’une machine qui lui écrit ce qu’elle veut lire. Elle est la victime d’une industrie trouble, ancienne et très rémunératrice. Ce genre de dispositif, qui consiste à faire croire à des internautes qu’ils correspondent avec un « voyant » alors que les messages sont automatisés ou écrits par d’autres, est bien connu : les autorités américaines le considèrent comme une arnaque et le combattent depuis deux décennies.
Ces efforts ont été vains. Grâce à des documents internes, de nombreuses informations en source ouverte et plusieurs témoignages, Le Monde dévoile les rouages d’une multinationale qui a gagné plusieurs dizaines de millions d’euros ces dix dernières années grâce à cette activité. Les Français à sa tête, qui ont camouflé leurs opérations à coups de sociétés-écrans et de prête-noms, ont dupé Odette et des centaines de milliers d’autres victimes.
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