Un bras de fer est engagé entre, d’un côté, les opérateurs et les équipementiers télécoms européens qui tirent de confortables revenus de l’exploitation de leurs brevets sur la 4G et la 5G et, de l’autre, les constructeurs automobiles et les géants du numérique comme Apple qui paient des droits pour utiliser lesdits brevets dans leurs véhicules connectés ou leurs smartphones.
En cause : la future réglementation européenne sur les brevets standards essentiels (Standard essential patents, SEP) qui protègent, entre autres, les technologies sans fil comme la 4G, la 5G ou le Wi-Fi. Actuellement discutée au Conseil européen, une proposition inquiète particulièrement les ayants-droits.
Les litiges sont particulièrement durs et longs dans ce domaine comme en témoignent le contentieux entre Apple et Qualcomm qui a duré des années alors que celui entre Lenovo et InterDigital court toujours. Le cadre actuel propose, avec l’Unified Patent Court (UPC), « un règlement rapide et harmonisé en Europe des litiges sur les brevets par des juges spécialisés, permettant un paiement rapide des licences aux ayants droit », juge La Lettre dans une enquête fouillée.
Dans son projet, la Commission européenne propose de remplacer ce dispositif par une procédure plus longue qui transiterait par l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO), le bureau d’enregistrement des brevets essentiels. « En cas de litige, cette agence rendrait d’abord un avis n’ayant pas valeur exécutoire, ce qui nécessiterait ensuite la saisine d’un tribunal ».
« L’Europe tire un but contre son camp »
Les entreprises télécoms craignent que « la nouvelle procédure ne complexifie le règlement des conflits aux dépens de leurs revenus », estime La Lettre. Organisation de lobbying réunissant Ericsson, Nokia, Orange ou Qualcomm et dirigée par Collette Rawnsley, vice-présidente de Nokia, IP Europe n’a pas assez de mots assez durs, sur son site, pour fustiger cette proposition de la Commission, estimant qu’elle serait pour l’Europe « un but contre son camp ».
Entre autres arguments d’IP Europe, la proposition désavantagerait les entreprises titulaires de brevets européens par rapport aux autres détenteurs de détenteurs de brevets dans le monde et augmenterait les coûts de licence pour les PME, entravant leur capacité d’innovation.
Bref, la proposition « saperait le leadership européen dans l’élaboration de normes mondiales y compris pour la 5G et la 6G ». Par ailleurs l’EUIPO, expert dans gestion de la propriété intellectuelle des marques et des dessins ou modèles, n’aurait ni la compétence ni l’expérience pour appréhender la complexité des brevets essentiels.
Un accès aux technologies sans fil « à des conditions équitables »
Les acteurs favorables à la réforme fourbissent également leurs armes. Coalisés au sien de l’Association des constructeurs européens d’automobiles (ACEA), BMW, Volkswagen ou Renault ont écrit une lettre à Avanci, le principal opérateur de pool de brevets pour les licences essentielles à l’utilisation de la 5G dans les véhicules connectés.
Ils demandent à l’Avanci à faire preuve de plus de transparence sur les brevets inclus dans son programme, en respectant les principes du projet de règlement de l’UE.
A défaut, l’industrie automobile « continuera de rencontrer des problèmes pour obtenir des licences d’utilisation des technologies sans fil à des conditions équitables et raisonnables. »
Actions de lobbying à Bruxelles
De son côté, Apple avancerait masqué selon La Lettre, via un faux-nez : The App Association (ACT). Financée par les GAFAM, dont la firme à la pomme et Amazon, cette association de défense des petites et moyennes entreprises de la tech a pris ouvertement position en faveur de la réforme règlementaire.
Dans un billet de blog, l’ACT estime qu’elle est indispensable pour ouvrir l’accès de ces PME aux technologies de l’IoT et de l’IA.
L’action de lobbying se semble toutefois pas porté ses fruits. Dans un document de travail ayant circulé au Conseil que La Lettre a pu consulter, « une grande partie des États membres, parmi lesquels la France, s’inquiètent de la prise de pouvoir de l’EUIPO. » Les Pays-Bas, la Finlande et la Suède, patries respectives des champions Philips, Nokia Ericsson, demandent également des ajustements de la réforme.