« Ce matin, maman a été téléchargée. » C’est le titre – et le début – d’un petit roman de Gabriel Naëj (pseudonyme de Jean-Gabriel Ganascia, spécialiste de l’intelligence artificielle, Buchet-Chastel, 2019). Il imagine l’immortalité numérique à la fin des années 2040. La mère du narrateur meurt, il se rend à la clinique. La conscience de celle qui lui a donné le jour repose dans un reliquaire de verre : « On dirait une balle de revolver mais en plus aplatie. » L’étape suivante est la réimplantation dans une « géminoïde » au corps pulpeux. Un peu trop pour sa compagne, qui prend la mouche. Car ce monde hypertechnologique garde au moins un trait du passé : les rapports entre épouses et belles-mères restent orageux…
Cet article est tiré du « Hors-Série Le Monde – La mort en face, 2023 ». Ce hors-série est en vente dans les kiosques ou par Internet en se rendant sur le site de notre boutique.
Ce rêve d’une conscience survivant à la déchéance du corps et à sa finitude n’est pas seulement une fantaisie de romancier. C’est le cœur du projet transhumaniste. Raymond Kurzweil (né en 1948), figure de proue de ce mouvement, futurologue, auteur de livres de science-fiction, ancien directeur de l’ingénierie chez Google, a théorisé ce concept du téléchargement de l’esprit dans son livre Humanité 2.0 (Pearson, 2007).
L’éternité, c’est long et cher
De telles idées ont déjà une traduction économique. L’entreprise américaine Nectome (fondée en 2016) se targue de conserver la structure interne du cerveau sur une longue durée grâce à un procédé chimique, la vitrifixation, avant le transfert ultérieur à un avatar. Une solution d’attente, donc. Car le téléchargement des consciences ne semble pas pour demain.
C’est ce que pointe Nicolas Rougier, chercheur en neurosciences computationnelles à l’Inria : « Quand on parle de télécharger le cerveau, cela signifie en extraire l’information. Mais quelle information ? Un cerveau humain adulte possède 85 milliards de neurones. Non seulement un neurone biologique se caractérise par un certain nombre de données, par exemple sa morphologie particulière, mais chacun d’entre eux peut être connecté à 10 000 autres. Prenez 85 milliards, multipliez-le par 10 000, et vous aurez une idée des informations disponibles dans un cerveau humain. Lire ces informations, nous ne savons pas le faire. Récemment, le projet OpenWorm a réussi à lire un petit cerveau, celui d’un ver de terre de 1 millimètre, le C. elegans. On connaît son connectome, c’est-à-dire qu’on sait -précisément quel neurone est lié à quel neurone. Mais le C. elegans n’a qu’une centaine de neurones. C’est sans commune mesure avec l’être humain. »
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