Les suites du « Projet Pegasus », l’enquête sur le logiciel espion de la société israélienne NSO

Les suites du « Projet Pegasus », l’enquête sur le logiciel espion de la société israélienne NSO


En juillet 2021, Le Monde et ses partenaires au sein du consortium coordonné par Forbidden Stories, avec l’aide technique d’Amnesty International, révélaient l’ampleur de la surveillance permise par le logiciel Pegasus, vendu à différents Etats par la société israélienne NSO Group. Après l’analyse d’une liste de cibles potentielles du logiciel, qui peut s’installer totalement à l’insu d’un propriétaire de téléphone et en aspirer toutes les données, le « Projet Pegasus » mettait en lumière de multiples dérives.

Lire l’enquête : Article réservé à nos abonnés « Projet Pegasus » : révélations sur un système mondial d’espionnage de téléphones

A commencer par la surveillance d’opposants politiques, de défenseurs des droits humains, d’avocats, de journalistes, dans de nombreux pays, dont la France, pour le compte de régimes autoritaires et le plus souvent en dehors de tout cadre légal. De plus, le logiciel de NSO a aussi été utilisé pour cibler des diplomates, des chefs d’Etat ou de gouvernement – parmi lesquels une bonne partie des membres du gouvernement français et le président de la République, Emmanuel Macron –, mettant en danger la sécurité nationale. Enfin, cette enquête conduite pendant plus de six mois montrait que l’exportation et la vente de ces technologies particulièrement intrusives ne faisaient l’objet d’aucun contrôle effectif, ou presque, permettant à des pays ultra-autoritaires de l’acquérir sans difficulté.

Cet article de la série « Affaires à suivre » résume les principaux événements survenus depuis la sortie de l’enquête.

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De multiples enquêtes ouvertes

  • En France, une dizaine de journalistes et d’élus ont porté plainte, dont les journalistes de Mediapart Edwy Plenel et Lenaïg Bredoux, l’ex-journaliste du Canard enchaîné Dominique Simonnot, ou encore le député Cédric Villani, tous ciblés pour le compte du royaume du Maroc. Ces enquêtes sont encore en phase d’instruction.
  • Le Parlement européen a également ouvert une enquête, dont l’objectif est d’examiner des infections découvertes en avril sur les téléphones de plusieurs hauts responsables européens, dont celui du commissaire à la justice, Didier Reynders. L’eurodéputée Sophia In’t Veldt a rendu public le rapport préliminaire de cette commission le 8 novembre. Le texte, très critique envers la Hongrie et la Pologne, propose un moratoire immédiat sur l’utilisation de ces logiciels dans l’Union.
  • Une enquête a également été ouverte en Algérie, pays dans lequel de très nombreux responsables politiques, économiques et militaires ont été ciblés, là encore pour le compte du Royaume du Maroc.
  • En Inde, la Cour suprême a ouvert une enquête sur l’utilisation de Pegasus par les forces de sécurité du pays : des journalistes et des opposants politiques au parti au pouvoir, le Parti du peuple indien (Bharatiya Janata Party), figuraient parmi la liste des victimes dans le pays. En août, elle a rendu ses conclusions dans un rapport resté confidentiel et qui a été établi sans la coopération du gouvernement indien.
  • Aux Etats-Unis, la société Apple a, quant à elle, porté plainte directement contre NSO Group, estimant, selon un communiqué, que, « dans une société libre, il est inacceptable de militariser des logiciels espions étatiques contre ceux qui cherchent à rendre le monde meilleur ». L’entreprise américaine a également entrepris d’avertir plusieurs centaines de personnes dont elle soupçonnait que les téléphones avaient été infectés. Une autre procédure judiciaire, lancée avant les révélations du « Projet Pegasus », par WhatsApp, propriété de Meta, est toujours en cours – NSO Group a échoué à obtenir l’abandon des poursuites.
  • De son côté, le Royaume du Maroc a porté plainte pour diffamation contre plusieurs médias du « Projet Pegasus », dont Le Monde, Forbidden Stories, Radio France, L’Humanité et Amnesty International, partenaire technique du projet. En France, le Maroc a été débouté dans toutes ses premières demandes ; de nouvelles plaintes visant notamment Le Monde sont toujours en attente d’un examen par le tribunal de Paris.

Des tempêtes politiques dans plusieurs pays

  • En Inde, la mise sous surveillance d’un des principaux leaders de l’opposition, Raul Gandhi, ainsi que de nombreux journalistes et avocats, a provoqué un vaste scandale.
  • En Pologne, l’espionnage de députés d’opposition, que le gouvernement a fini par reconnaître tout en cherchant à le justifier, a enclenché un vaste débat politique. Le Sénat enquête sur les conséquences qu’a pu avoir cette surveillance lors des élections de 2019.
  • En Hongrie, le gouvernement de Viktor Orban a reconnu, après de vives dénégations, avoir acheté Pegasus. L’utilisation du logiciel espion s’est ajoutée aux multiples critiques, un peu partout en Europe, sur la dérive autoritaire du gouvernement hongrois.
  • En Espagne, les révélations du « Projet Pegasus » ont alimenté les soupçons à l’encontre des services de renseignement espagnols, après l’infection des téléphones de plusieurs personnalités liées au mouvement indépendantiste catalan. En mai, après la publication d’une enquête d’ampleur de l’organisation canadienne Citizen Lab, la responsable des services de renseignement a admis que les services secrets avaient eu recours à Pegasus pour espionner au moins dix-huit indépendantistes.
  • Le gouvernement israélien, cible de vives critiques de plusieurs chancelleries, notamment en Europe, a dû durcir, au moins symboliquement, les conditions d’attribution des licences autorisant l’exportation des logiciels espions.

Des sanctions internationales

  • En novembre 2021, NSO Group a été placé sur la liste noire du département du commerce des Etats-Unis. Une sanction d’ordinaire réservée aux sociétés directement liées à l’économie de pays sous le coup de sanctions majeures et qui interdit aux entreprises américaines de conclure des contrats avec NSO Group.
  • Ces mesures ont, semble-t-il, accentué les difficultés économiques de NSO Group, qui a changé à deux reprises de PDG et cherche un nouvel acquéreur : un projet de rachat par un groupe américain a, en effet, échoué en raison des sanctions mises en place par l’administration Biden. Depuis les révélations du « Projet Pegasus », NSO peine à recruter de nouveaux clients et la société est lourdement endettée.
  • Selon les informations du « Projet Pegasus », NSO aurait par ailleurs limité la liste des pays dont les téléphones peuvent être ciblés par son logiciel espion. La société affirme depuis toujours « bloquer » les demandes d’installation visant des téléphones américains ou chinois et, selon une source familière du fonctionnement de l’entreprise, ce blocage aurait été étendu, à la fin de 2021, aux pays de l’alliance « Five Eyes » : le Canada, le Royaume-Uni, l’Australie et la Nouvelle-Zélande. La France a demandé à être ajoutée à cette liste, sans que l’on sache si sa demande a été satisfaite.

De nouveaux pays clients, ou suspectés de l’être, identifiés

Une enquête primée

Le Monde



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