Il y a la partie émergée de l’iceberg : l’interdiction de réseaux sociaux étrangers, le blocage de sites d’information, les poursuites judiciaires pour des likes ou des commentaires en ligne. Et puis il y a le travail souterrain, d’une ampleur bien plus importante, qui vise à garantir un « Internet propre », selon le nom d’un des programmes secrets développés par les autorités russes.
Le détail de cette besogne est désormais connu grâce à une enquête publiée simultanément, mercredi 8 février, par plusieurs sites d’investigation russes, tous en exil (Proekt, Mediazona, Agenstvo ou Radio Svoboda, pour les principaux). L’enquête elle-même a été rendue possible par le piratage, au mois de novembre 2022, de l’agence de supervision de l’Internet, Roskomnadzor. A cette occasion, 700 000 courriels et deux millions de documents auraient été récupérés par des hackers biélorusses membres d’une organisation nommée Cyber Partisans.
Sur le papier, Roskomnadzor est une banale agence administrative, chargée de distribuer les fréquences radio ou de veiller au respect des lois protégeant les données personnelles. En réalité, elle s’est transformée en une structure de contrôle, de censure et même d’infiltration de segments entiers de l’Internet.
« Agents de l’étranger »
Premier enseignement de ces fuites, l’ampleur des blocages opérés depuis le début de « l’opération spéciale » en Ukraine : durant les neuf premiers mois de conflit, 150 000 pages Internet et publications sur les réseaux sociaux ont été effacées, concernant notamment les pertes de l’armée russe ou les crimes que celle-ci est accusée d’avoir commis en Ukraine. L’accès à 72 médias russes, 23 médias étrangers et 630 sites ukrainiens a aussi été purement et simplement bloqué.
Dans le cadre de ce travail de veille, les agents de Roskomnadzor partagent aussi une partie de leurs trouvailles avec d’autres structures, comme le bureau du procureur, la police ou le FSB, les services de sécurité. A cet effet, des tchats thématiques sont utilisés, aux noms évocateurs : « Fausses informations [sur l’armée] », « sentiment contestataire », « déstabilisation », « ingérence étrangère »…
Dans le même registre, Roskomnadzor a aussi établi des listes de centaines de journalistes et de blogueurs, mais aussi des experts qui ont pour habitude de leur parler. Nombre des personnalités recensées dans ces listes sont ensuite désignées comme « agents de l’étranger ». D’autres personnalités, notamment du monde de la culture, sont aussi surveillées de la même manière.
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