Dans les jeux vidéo tirés de l’univers Super Mario, Nintendo nous a surtout habitués à incarner des moustachus en salopette (essentiellement Mario et Luigi) voire, de temps en temps, le dinosaure Yoshi. Mais pour la seconde fois, après l’oubliable Super Princess Peach (2005), c’est son personnage féminin vedette que l’éditeur japonais met sous les projecteurs avec Princess Peach Showtime !, disponible vendredi 22 mars sur Switch.
L’héritière du Royaume Champignon y remise au placard ses gants blancs et sa robe rose pour voler, combattre, nager et résoudre des énigmes. « L’évolution est significative. Dans les jeux de la série principale, Peach ne sait rien faire de ses dix doigts, juste se faire enlever : c’est le fameux stéréotype de la demoiselle en détresse », rappelle Fanny Lignon, maîtresse de conférences à l’université Lyon-I et membre du laboratoire Thalim.
Rien d’étonnant : aussi ancien que la fiction, l’archétype de la jeune femme à sauver est présent dans les mythes grecs (Persée ou Andromède) comme médiévaux (Tristan et Iseult). On le retrouve dans les contes de fées puis chez l’une des plus grandes sources d’inspiration de Shigeru Miyamoto, le père de Mario et de Peach : le réalisateur et producteur Walt Disney (Blanche Neige, La Belle au bois dormant, Cendrillon).
« Elle attend qu’on vienne la chercher »
Peach n’est pas le premier personnage de Nintendo à jouer ce rôle. Dès la borne d’arcade Donkey Kong (1981), Shigeru Miyamoto imagine une dynamique basée sur une relation triangulaire : le héros a pour mission de porter secours à une certaine Pauline enlevée par l’énorme singe éponyme. Sauver la princesse est à la fois le but du jeu mais aussi la récompense ultime pour avoir surmonté tous les obstacles.
Pauline, inspirée de la figure comique d’Olive, la fiancée de Popeye, est passive jusqu’à la caricature. « Elle est posée sur une poutre. Elle n’est pas attachée, elle pourrait partir, mais elle ne bouge pas. Elle attend gentiment qu’on vienne la chercher », s’étonne Fanny Lignon, qui a dirigé l’ouvrage Genre et jeux vidéo (Presses universitaires du Midi, 2015). Peach reprend le flambeau en 1985 dans le jeu de plates-formes Super Mario Bros., véritable jalon de l’histoire du jeu vidéo sur console.
Peach (généralement appelée, les premières années, Princess Toadstool en anglais et Princesse Champignon en français), se révèle toutefois plus sophistiquée que Pauline. Princesse séquestrée dans un château par un dragon, elle se rattache à un imaginaire médiéval revisité de dessin animé. Son nom, qui signifie « pêche » en anglais, est imagé. Malgré l’aveu d’oubli de ses origines, Shigeru Miyamoto a rapporté qu’il était associé au genre féminin et au rose de sa robe bouffante. « En japonais, la nuance des fleurs du pêcher [momo iro] est la manière la plus habituelle de qualifier la couleur rose sans utiliser pinku, qui vient de l’anglais pink », précise Pierre-William Fregonese, chercheur à l’Institut des arts contemporains de l’université des arts de Kyoto et auteur du livre L’Invention du rose (PUF, 2023).
Pour l’universitaire, ce rose japonais, à la fois élégant et désuet, se différencie de celui de l’Américaine Barbie : « Peach est conçue comme une femme têtue, maligne, mais aussi kawaï, autrement dit mignonne en japonais, poursuit Pierre-William Fregonese. Elle a des atours de princesses de contes tout en s’approchant du style des actrices américaines des années 1950-1960, sans toutefois être sexualisée à l’instar d’une Barbie. » C’est avec ces attributs que Peach, avec sa voix haut perchée et sa micro-couronne vissée sur la tête, s’est hissée au rang de personnage iconique du jeu vidéo.
Force rose
La popularité de la princesse kawaï de Nintendo lui vaut de s’émanciper dans les nombreux jeux dérivés de l’univers de Super Mario, comme Super Mario Kart (1992), Mario Party (1998) ou Super Smash Bros. (1999). Dans ces titres ouverts aux parties multijoueurs, la princesse est intégrée à une galerie de personnages avec lesquels elle est sur un pied d’égalité, Mario et Bower compris. « Dans les jeux autres que les jeux de plates-formes, elle joue au tennis, au golf, elle conduit un kart ou une grosse moto… », énumère Fanny Lignon.
Du côté des jeux de la série principale en revanche, les caricatures ont la peau dure. La princesse est condamnée à faire des gâteaux dans Super Mario 64 (1998) ou à être transportée sur l’épaule de Bowser comme un sac de pommes de terre dans New Super Mario Bros. (2006). Quelques exceptions demeurent, tel Super Mario Bros. 2 (1988) où Peach est un personnage jouable doté d’un pouvoir de lévitation.
Ce n’est que depuis les années 2000 que Shigeru Miyamoto a souhaité donner plus d’autonomie à sa princesse. Un jeu à part entière lui est d’abord consacré en 2005 – même si cette Super Princess Peach, capable notamment de faire pousser des plantes avec ses larmes, ne se débarrasse pas totalement de son étiquette de petit être fragile. Plus récemment, dans Super Mario 3D World (2013) ou Super Mario Bros. Wonder (2023), elle a cessé de se faire capturer, et dans Super Mario Bros, le film (2023), elle fait équipe avec Mario pour secourir le frère de celui-ci.
« Shigeru Miyamoto s’est dit très attentif à l’évolution des films américains qui mettent en scène de plus en plus de femmes combattantes, de femmes actives et non passives. Il a ainsi souhaité conférer à Peach une “agentivité”, c’est-à-dire une capacité d’influer sur son environnement », observe Pierre-William Fregonese, qui est également critique de jeux vidéo pour le magazine Canard PC.
Avec Princess Peach Showtime !, la tête couronnée s’inscrit dans cette prise de pouvoir. Elle y devient tour à tour détective, mousquetaire ou as du kung-fu. Toutefois, Fanny Lignon regrette que les ambitions du titre, destiné à des joueurs peu aguerris, ne soient pas les mêmes qu’un épisode de Mario canonique. Et que si la mascotte de Nintendo est le plus souvent chargée de sauver tout un royaume, Peach, elle, doit se contenter de sauver un théâtre.
« Peach est quand même une héroïne, elle est active, elle se transforme, elle adopte des personnalités et des rôles variés, il y a du progrès », reconnaît Fanny Lignon, soulignant cependant que « certains [de ces rôles] sont discutables, sur le fond comme sur la forme ». Car certes, si elle ne pleure plus pour arroser les plantes, Peach n’oublie pas tout à fait ses manières princières, se battant avec un ruban, allant même jusqu’à se changer en sirène. Si elle avance désormais avec assurance, la tornade rose bonbon ne renie pas pour autant ses origines.