Au terme de plusieurs années de négociations, les régulateurs européens se sont entendus, mercredi 29 et jeudi 30 juin, sur deux textes destinés à encadrer l’utilisation et l’émission de cryptoactifs en Europe : le Transfer of Funds Regulation (TFR) et le Markets in Crypto-Assets (MICA).
Selon son rapporteur, l’eurodéputé espagnol Ernest Urtasun, le TFR imposera à toutes les plates-formes de collecter des informations privées – identité, adresse, origine des fonds… – sur leurs utilisateurs pour toutes les transactions utilisant leurs services, et ce dès le premier euro. Cette récolte d’informations sera également obligatoire pour les transactions supérieures à 1 000 euros en provenance ou destinées à un portefeuille privé, c’est-à-dire non hébergé par la plate-forme elle-même. En revanche les transferts de fonds de pair à pair, sans passer par les services d’une plate-forme, ne sont pas soumis à ces contrôles.
Les stablecoins surveillés de près
Adopté un jour plus tard, le MICA ambitionne de son côté de réguler l’émission des cryptoactifs. En France, depuis la loi Pacte adoptée en 2019, les plates-formes du secteur, comme Coinhouse ou Binance, ne peuvent opérer sur son sol qu’à la condition de s’être enregistrées auprès de l’Autorité des marchés financiers : elles sont alors reconnues en tant que prestataires de services sur actifs numériques. Avec le MICA, l’obligation de s’enregistrer est étendue à toute l’Europe : les plates-formes européennes devront faire la démarche auprès de l’Autorité européenne des marchés financiers pour être reconnues comme crypto-asset service provider. A défaut de mise en conformité, ces acteurs seront placés par le gendarme européen sur une liste noire.
Comme annoncé, les stablecoins (des jetons dont la valeur est supposée être adossée à celle d’une devise traditionnelle) seront surveillés de près : une fois enregistré auprès de l’autorité compétente, l’émetteur du jeton devra ainsi détenir des réserves de fonds suffisantes pour couvrir les retraits des utilisateurs et un plafond de 200 millions d’euros de transaction par jour ne devra pas être dépassé, a détaillé sur Twitter Ernest Urtasun.
Conformément à ce qu’espéraient les acteurs du secteur, les jetons non-fongibles (NFT), ces certificats d’authenticité numériques associés à un jeton, seront finalement exclus du champ d’application du MICA. Compte tenu de la variété d’usages dont ils font l’objet, ils ne rentrent pas dans la case des cryptoactifs, jugée trop restrictive. Les applications de finance décentralisée, ces plates-formes de transactions fonctionnant de manière autonome et sans autorité centrale, ne sont également pas concernées par le texte. Et ce même si elles sont de plus en plus utilisées : à titre d’exemple, environ 1,38 milliard d’euros de transaction ont été effectuées en 24 heures jeudi 30 juin, selon les statistiques du site spécialisé Coingecko.
« Brèche dans le marché »
Avec ces textes, l’exécutif européen espère combler les « failles béantes des règlements européens antiblanchiment », selon Ernest Urtasun. Pourtant, dans un communiqué publié vendredi 1er juillet, l’Association pour le développement des actifs numériques (ADAN), qui réunit les principaux acteurs français du secteur, déplore au contraire une nouvelle « brèche dans le marché » : en théorie, les plates-formes étrangères non conformes aux règles prévues par les textes pourraient continuer d’accueillir des utilisateurs européens, dès lors qu’elles ne font pas de publicité active sur le territoire de l’Union européenne. « On demande de délimiter précisément les contours de ce qu’est une “sollicitation active”, pour éviter que des plates-formes étrangères assurent ne pas avoir besoin de s’enregistrer auprès de l’Union européenne sous prétexte qu’elles ne sollicitent pas les clients européens, alors qu’en réalité, elles font tout de même de la publicité auprès d’eux, notamment sur les réseaux sociaux », explique au Monde Faustine Fleuret, présidente de l’ADAN.
Les textes, qui doivent encore passer devant la Commission des affaires économiques et monétaires, être votés en séance plénière au Parlement européen puis obtenir l’accord final du Conseil européen, ne rentreront probablement en application qu’en 2024. Une éternité pour un secteur sans cesse en évolution. A tel point que Christine Lagarde, la présidente de la Banque centrale européenne, a déjà évoqué devant la Commission des affaires économiques et monétaires du Parlement européen, le 20 juin, la nécessité de travailler sur un nouveau règlement, le MICA 2.