« C’est un inconfort subtil et sous-jacent (…), comme un rêve fiévreux », confie la youtubeuse Riley Marie. En vidéo, la jeune femme recommande à sa communauté les livres ayant provoqué chez elle une délicieuse angoisse. Ces romans, elle les qualifie de « weird books for weird girls » (« des livres étranges pour des filles étranges »). « Cette nouvelle tendance de fiction girly bizarre/toxique/déséquilibrée est mon nouveau genre préféré, je suis fascinée », commente une lectrice enthousiaste.
Sur le forum « Suggest me a book » (« conseille-moi un livre ») du réseau Reddit, une autre réclame : « Je veux des livres sur des femmes qui sont vraiment bizarres. Déconcertantes, effrayantes, excentriques, dégoûtantes, je veux tout. » Et sous les #weirdbooksforweirdgirls, #weirdgirlbooks de TikTok, les créatrices de contenu présentent, face caméra ou sous forme de montages vidéo, les incontournables du moment. Parmi eux, Lapin, de Mona Awad (2019, uniquement disponible en numérique pour la langue française), Les Dangers de fumer au lit, de Mariana Enriquez (Sous-Sol, 2023), et Motherthing, d’Ainslie Hogarth (2023, non traduit).
Ce roman, qui raconte l’histoire d’Abby, hantée par le fantôme de sa vénéneuse belle-mère Laura, depuis le suicide de cette dernière, a popularisé sur TikTok l’expression domestic horrors avec son lot de citations inquiétantes, de critiques enflammées et de scènes de films angoissantes se déroulant dans de luxueuses cuisines ou de coquets salons. Ou quand le foyer devient le lieu de l’étrange, de l’horreur. « Surnaturels ou non, ces récits mettent le doigt sur des peurs intimes – deuil impossible, sentiment d’échec, isolement et secrets refoulés – auxquels la maison confère une matérialité. Il y a une réversibilité permanente entre le mal-être du personnage et la maison qui manifeste ce malaise », explique l’historienne des images Fleur Hopkins-Loféron. Pas d’effusions de sang, mais de la paranoïa, de la manipulation et un déraillement des perceptions.
« Aborder des sujets tabous »
Dans le jargon littéraire et cinématographique, l’appellation « horreur domestique » connaît de multiples avatars que se sont appropriés les internautes : horror at home (« horreur à la maison »), housewife horror (« horreur de la femme au foyer ») ou encore gothic domestic… Ce genre prend sa source dans la littérature gothique du XVIIIe siècle, avec des auteurs comme Samuel Richardson ou Ann Radcliffe, à une époque où les héroïnes étaient cloîtrées dans des monastères humides. Aujourd’hui, châteaux et abbayes ont cédé la place aux maisons proprettes de banlieue et aux quartiers résidentiels pour nantis.
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