L’intelligence artificielle (IA) va-t-elle rebattre les cartes du numérique ou asseoir le pouvoir des grands acteurs du secteur ? Le succès des logiciels capables de créer, à partir d’une simple commande écrite, des textes – comme ChatGPT – ou des images – comme Midjourney – a d’abord semblé confirmer la seconde hypothèse. Si c’était possible, ces systèmes allaient être encore davantage dominés par les Big Tech, tels Google, Microsoft, Meta (Facebook) ou Amazon, que la recherche en ligne, les réseaux sociaux, les logiciels ou l’e-commerce…
Mais ces derniers mois, avec l’apparition de modèles d’IA puissants diffusés en open source, donc accessibles à tous, une thèse alternative s’est développée : l’IA pourrait affaiblir les géants du numérique.
Pour étayer l’idée d’une consolidation du pouvoir des acteurs dominants, les éléments ne manquent pas : OpenAI, la start-up qui a créé ChatGPT, est depuis 2019 solidement arrimée, par un partenariat, à Microsoft, qui serait prêt à y investir 10 milliards de dollars (9,4 milliards d’euros). Google a, lui, misé 300 millions de dollars pour prendre une participation dans la start-up Anthropic. Et, grâce à leurs filiales d’hébergement et de services dans le cloud, Google a noué un partenariat avec Cohere ou C3 AI et Amazon avec Stability AI. Les géants du numérique apportent ici de la capacité de calcul pour entraîner des modèles gigantesques (540 milliards de paramètres pour PaLM, de Google). Il s’agit d’une ressource cruciale et coûteuse, car les puces dernier cri valent jusqu’à 40 000 dollars pièce.
Cette mainmise suscite déjà des critiques, notamment d’Elon Musk, pour qui créer OpenAI était une façon de pas laisser l’IA aux mains de Google. « La domination des Big Tech sur l’économie numérique sera scellée si les régulateurs n’interviennent pas », a mis en garde Sarah Myers West, de l’ONG AI Now Institute, dans le Financial Times. La FTC, l’autorité antitrust américaine, a dit être « vigilante », car « l’IA risque de conforter encore davantage la domination des grands acteurs du numérique ».
Futur « hybride »
Certains craignent de voir les petites entreprises et la recherche publique dépendre d’une poignée de grands modèles d’IA, comme elles dépendent des grandes plates-formes, réseaux sociaux, environnements mobiles… S’y ajoutent une incertitude économique – ces modèles sont aujourd’hui facturés quelques fractions de centimes de dollar par requête, mais demain ? – ainsi que des questions de souveraineté…
Mais pour d’autres, les colosses de la tech reposeraient sur des pieds d’argile : « C’est une vérité dérangeante, mais, chez Google, nous ne sommes pas en position de gagner la course de vitesse dans l’IA. Et OpenAI non plus… L’open source est en train de nous dépasser, a lancé un ingénieur de Google dans un mémo interne qui a fuité, début mai, sur SemiAnalysis. Notre avance fond à une vitesse incroyable. Les modèles open source sont plus rapides, plus adaptables par le client et plus performants », affirme l’employé, soulignant que « personne ne paiera si une alternative gratuite existe ». Désormais, des logiciels, beaucoup plus petits mais performants sur des tâches précises, peuvent être entraînés sur de simples ordinateurs, voire un smartphone, pour un coût modique.
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