Peu de secteurs économiques français peuvent se vanter de compter deux acteurs globaux comme Capgemini et Atos – malgré les difficultés de ce dernier –, qui plus est dans un univers technologique dominé par les Américains. Les deux entreprises de services du numérique (ESN) sont les seules basées en Europe à figurer dans le top 20 mondial, aux côtés d’entreprises américaines, d’indiennes ou japonaises. Ni l’Allemagne ni le Royaume-Uni n’ont su faire émerger d’acteurs de dimension internationale.
« Grâce à la personnalité exceptionnelle de Serge Kampf et de Bernard Bourigeaud, les pères fondateurs de Capgemini et d’Atos, et à d’autres dirigeants, comme Pierre Pasquier chez Sopra Steria, l’informatique est devenue une spécialité française », souligne Jean-François Perret, de Pierre Audoin Consultants, un cabinet de conseil fondé au milieu des années 1970 qui a suivi l’essor de ces entreprises. Capgemini, Atos, Sopra Steria ont prospéré sur l’externalisation des services informatiques des grandes banques, ainsi que sur le besoin ponctuel d’informaticiens pour des missions à durée déterminée.
Les trois sociétés ont embarqué derrière elles une multitude de plus petits acteurs, faisant de la France un pays d’informaticiens. Les services numériques y représentent 42 milliards d’euros de chiffre d’affaires, dont 34 milliards pour des prestations informatiques et 8 milliards pour de l’ingénierie conseil en technologies (ICT), grande spécialité tricolore.
« Championne du monde »
Avec des groupes comme Altran (acheté en 2020 par Capgemini), Alten, Akka (repris par le groupe Adecco en 2022), Assystem, Ausy (passé sous la coupe de Randstad en 2016), « la France est une des championnes du monde de l’ingénierie. Il y existe une vraie culture qui s’exporte à l’international », explique Charles Mauclair, président du collège ESN et ICT de Numeum, l’organisation professionnelle du secteur.
Des industriels comme EDF, Peugeot, Renault ou Airbus ont très vite sous-traité une partie de leur ingénierie là où leurs homologues allemands ont longtemps internalisé ces métiers. L’industrie représente un tiers de l’activité des sociétés de services numériques en France, devant la banque (15,2 %) et les services (14,9 %). Une tendance qui devrait être renforcée par la réindustrialisation en cours.
Cette évolution rend le secteur moins sensible aux cycles macroéconomiques. « Jusqu’à il y a dix ans environ, il suivait parfaitement la croissance de l’économie française, reprend M. Mauclair. Depuis, nous constatons une décorrélation en faveur des services informatiques, ce qui reflète la montée des enjeux numériques dans les entreprises. Autrefois, les budgets informatiques étaient souvent parmi les premiers gelés en cas de restrictions budgétaires. Aujourd’hui, ces décisions sont plus rares, car couper, même temporairement, dans ses investissements informatiques est dangereux pour votre activité future et votre rentabilité. » En 2023, selon le dernier sondage de Numeum, 62 % des directeurs de systèmes informatiques ont déclaré prévoir un budget en hausse pour 2024.