Il y a quelques jours, Mark Russinovich, le directeur technique de Microsoft Azure, a annoncé qu’il a reçu à dîner Linus Torvalds et Bill Gates, ainsi que Dave Cutler, qui a dirigé le développement de VAX/VMS et de Windows NT. C’était la toute première fois que Torvalds et Gates, respectivement âgés de 55 et 69 ans, se rencontraient. Selon leur hôte, il n’a pas été question de code ce soir-là, mais ce dîner entre le créateur en 1991 de Linux et le fondateur de Microsoft, dont l’ancien PDG Steve Ballmer déclarait en 2001 que «Linux est un cancer» qui contamine la propriété intellectuelle de tout ce qu’il touche, ça mérite un tour d’archives.
Communistes «cachés sous différents masques» et menaces juridiques
Janvier 2005. Bill Gates estime que restreindre la propriété intellectuelle s’apparente à un «communisme d’un nouveau genre»: «Parmi les économies mondiales, il y en a plus, aujourd’hui, qui croient au respect de la propriété intellectuelle. Il n’y a jamais eu aussi peu de communistes aujourd’hui dans le monde. Il y a pourtant certains communistes d’un genre nouveau, cachés sous différents masques, qui veulent se débarrasser des mesures incitatives dont bénéficient les musiciens, les cinéastes et les créateurs de logiciels. Ces gens-là pensent que ces mesures ne devraient pas exister. Et ce débat n’est pas près d’être clos.»
Mai 2007. Microsoft prétend que les acteurs du logiciel libre violent ses brevets – 235 violations selon son directeur juridique Brad Smith. Il affirme que le noyau ou kernel Linux violerait 42 brevets Microsoft et que son interface graphique et des éléments de design en enfreindraient 65 autres. Quelques jours après, l’éditeur déclare ne pas vouloir attaquer les acteurs de l’open source – et ne précise pas quels seraient les brevets prétendument violés.
Octobre 2007. Steve Ballmer, toujours PDG de Microsoft, menace de poursuites juridiques les clients de Red Hat. Il déclare que «ceux qui utilisent Red Hat ont, en un sens, l’obligation de nous dédommager, au moins par respect pour notre propriété intellectuelle».
Mai 2009. Microsoft et la fondation Linux écrivent et envoient ensemble une lettre à l’American Law Institute (ALI) pour exprimer leurs inquiétudes communes sur les projets de loi révisant les textes appliqués aux contrats liés aux logiciels. A une table ronde de la Linux Foundation le mois précédent, Sam Ramji, directeur de la stratégie open source et Linux chez Microsoft, a «souligné qu’il y a des domaines où nous pouvons nous accorder et travailler ensemble pour le mieux-être des utilisateurs de technologie. C’est un de ces cas.»
Décembre 2009. Microsoft recrute un responsable de la concurrence de Linux et OpenOffice. La firme cherche quelqu’un chargé de diriger sa «Commercial Software Initiative», pour mener aux États-Unis la guerre commerciale contre Linux et OpenOffice. Vision à 360° de l’environnement américain requise, et travail devant influencer «des publics clés (professionnels de l’informatique, élites gouvernementales, responsables marketing, journalistes IT etc.)».
La menace Linux «dans le rétroviseur»
Octobre 2014. «Microsoft aime Linux», affirme Satya Nadella, qui a succédé comme PDG à Steve Ballmer en février. 20% des machines virtuelles Cloud de Microsoft, Azure, tournent sous des OS Linux. ZDNet note: «Supporter Linux sur ses solutions répond donc à une attente du marché et de ses clients. Par ailleurs difficile d’imaginer l’éditeur refusant d’héberger sur son service IaaS des VM Linux quand les autres acteurs du Cloud public le proposent. Toutefois, Microsoft ne s’est pas seulement ouvert à Linux, mais ces dernières années aussi aux logiciels Open Source, plus largement. L’éditeur contribue ainsi, entre autres, à Hadoop et Docker dans le domaine de l’infrastructure, ou encore au projet Open Compute de Facebook.»
Mars 2016. Pour Steve Ballmer, la menace Linux «est maintenant dans le rétroviseur». Mais l’ex-PDG ne revient pas vraiment sur ses diatribes d’antan, jugeant que «la compagnie a gagné une tonne d’argent en menant très bien ce combat. Il était incroyablement important pour le revenu régulier de l’entreprise» de maintenir sa position avec le système d’exploitation Windows, estime-t-il.
Novembre 2016. Microsoft intègre la fondation Linux. Un de ses dirigeants, John Gossman, l’architecte en chef de la plateforme Cloud de l’éditeur, Azure, entre au comité de direction de la Linux Foundation. Dans les 12 mois précédents, Microsoft a, entre autres, versé en open source .Net Core 1.0, signé un partenariat avec Canonical, et travaillé avec FreeBSD pour livrer une image pour le Cloud Azure.
Juin 2019. Microsoft veut participer à la sécurité de Linux. L’éditeur demande à rejoindre la liste des développeurs impliqués dans la sécurité de Linux et la correction des failles zero-day.
Septembre 2019. Richard Stallman chez Microsoft. Le fondateur en 1983 du mouvement des logiciels libres a été invité à donner une conférence à Redmond. Un de ses auditeurs rapporte que son intervention a porté sur l’importance du logiciel libre, GPL v3, GNU et Linux, et des « petites demandes »: pousser les développeurs sur Github à une meilleure hygiène de leurs licences logicielles, faire publier leurs spécifications techniques par les fabricants de matériel.
Mai 2021. Microsoft, GitHub (acquis par l’éditeur en 2018) et la fondation Linux créent la Green Software Foundation. Objectif annoncé, réduire l’impact environnemental du fonctionnement des logiciels, en particulier les émissions de gaz à effet de serre. La Fondation du logiciel vert compte aussi parmi ses fondateurs la Joint Development Foundation Projects LLC (partenaire de la fondation Linux pour pousser à l’adoption des logiciels open source), Accenture, ThoughtWorks (conseil en logiciels), Goldman Sachs et des ONG, dont Leaders for Climate Action, Watt Time et la Green Web Foundation.
Des idées pour les prochaines étapes?
Illustration: Windows et panneau « Attention pingouins » (le mot est le même en anglais, mais Tux, la mascotte de Linux, est un manchot, par Daniel Aleksandersen, sous licence CC BY 4.0
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