La Californie s’est construite sur le mythe de la ruée vers l’or. Sept ans de folie qui ont peuplé ce bout du monde et abouti, en 1850, à la création du plus riche Etat américain. Ce boom n’a pas enrichi beaucoup de mineurs mais a appris une chose à ses habitants : ce sont les marchands de pelles et de pioches qui ont fait fortune. Samuel Brannan fut le premier millionnaire de la période, avec ses magasins où les clients payaient en pépites.
La dernière ruée s’appelle l’intelligence artificielle et, pour l’instant, le seul à y gagner de l’argent n’est ni OpenAI, le créateur de ChatGPT, ni son protecteur, Microsoft, mais Nvidia, l’électronicien qui fournit les puces des machines.
La publication de ses résultats pour le troisième trimestre de cette année en donne la mesure, vertigineuse. Son chiffre d’affaires a augmenté de 206 % par rapport à 2022, à 18 milliards de dollars (16,5 milliards d’euros), et son résultat net de 588 %, à 10 milliards de dollars. Pas mal pour une société sans usines, connue pour ses cartes graphiques chéries des fans de jeux vidéo.
Les sept nouveaux mercenaires
L’intelligence de son fondateur, Jensen Huang, est d’avoir bâti, à partir de sa compétence dans les puces graphiques, tout un écosystème comprenant le microprocesseur, la carte électronique complète, les services et les logiciels. Un ensemble unique devenu indispensable à la construction de serveurs informatiques suffisamment puissants pour faire travailler des intelligences artificielles si gourmandes en calculs.
Une carte A100, l’un de ses modèles phares, est un ordinateur en lui-même avec composants, processeurs et mémoires. Chaque exemplaire se vend entre 10 000 et 20 000 euros, et il en faut plusieurs milliers pour constituer un centre serveur. Ses clients s’appellent notamment Google, Amazon, Microsoft, avec leurs milliers de centres serveurs dans le monde.
Toujours en anticipation, la Bourse a depuis un an propulsé le cours de Nvidia sur le toit du monde. Son cours a triplé. Avec une capitalisation de 1 200 milliards de dollars, la société fait désormais parti du gang des « Magnificent Seven », ces sept nouveaux mercenaires qui s’appellent Apple, Microsoft, Amazon, Google, Nvidia, Meta et Tesla. A eux seuls, ils expliquent la totalité de la croissance de la Bourse américaine en 2023.
Mais la ruée vers l’or a aussi appris aux Californiens que la roue tourne. Samuel Brannan est mort ruiné et les six compères et clients de Nvidia projettent tous de concevoir leurs propres puces, tandis que le marché chinois, lui, est de plus en plus interdit par Washington. Les puces, comme l’or, brûlent vite les doigts.