Du 12S Ultra, premier smartphone « photo » codéveloppé par Xiaomi et Leica, on savait déjà qu’il intégrait un capteur 1 pouce. Un capteur géant qui a des avantages mais qui soulevait beaucoup d’interrogations comme nous en parlions ici. Enfin officialisé ce lundi 4 juillet, le 12S Ultra apporte donc bien un très grand capteur.
Mais surtout une partition photo globale vraiment impressionnante qui mérite bien un temps d’arrêt sur chaque composant. Notamment sur ce capteur « géant », dont on espère beaucoup. Après tout, avec le Lumix CM1, le Sharp Aquos R6 et le Leitz Phone, il s’agit du 4e smartphone équipé d’un capteur 1 pouce où Leica est impliqué dans le développement.
Un « vrai » capteur 1 pouce
Le capteur 1 pouce dans les smartphones, nous vous en avons déjà fait la petite histoire. Ses promesses théoriques sont intéressantes – plus de surface veut dire plus de collecte de lumière – mais il entraîne avec lui de nombreux développements et de nombreuses contraintes physiques. Pour son 12S Ultra, Xiaomi n’a, sur le papier, pas déçu. Mieux, le chinois surprend : contrairement à Sony qui recadre comme un malpropre dans son capteur 1 pouce de 20 Mpix pour son Xperia Pro-I (qui devient alors un simple capteur 12 Mpix) Xiaomi a développé une formule optique qui couvre tout le cercle image.
Mais plutôt que de se contenter d’acheter un composant déjà existant sur les étagères de Sony, Xiaomi a signé un partenariat avec l’électronicien japonais pour développer un capteur tout neuf. Alors que tous les modèles de capteur photo 1’’ de Sony ont toujours été des modèles à 20 Mpix, le chinois et le japonais ont conçu une toute nouvelle référence appelée IMX989 de 50 Mpix.
Et c’est là que nous sommes très enthousiastes : d’un côté, ce capteur offre une grande surface de collecte de lumière, bien supérieure à la compétition. De l’autre, il exploite le fonctionnement traditionnel des smartphones qui consiste à coupler des photodiodes de 1,6 micron entre-elles. Ces quad-pixels mesurent alors 3,2 microns de côté (ce qui est comparable à de vrais appareils photo) pour une définition très confortable de 12,5 Mpix.
Codévelopper un capteur avec un partenaire (comme Sony ou Samsung) permet à une entreprise non seulement d’avoir la primauté sur un composant, mais aussi de le préparer selon ses propres besoins (comme nous l’expliquait en mars dernier Simon Liu, patron de la photo chez Oppo). Et cela offre aussi un accès à l’électronique et au logiciel de bas niveau, un accès privilégié au hardware qui sera interdit aux clients qui achèteront plus tard ce même composant – ils devront se contenter du framework logiciel standard de Sony, sans pouvoir influer sur la partie électronique.
Si on n’a jamais vu d’appareil photo équipé d’un tel capteur, on peut cependant extrapoler ses compétences : il devrait être plus sensible en basses lumières, les flous d’arrière-plan seront plus prononcés (ils sont notamment fonction des dimensions du capteur) mais ,en plus, l’échantillonnage des couleurs sur 4 photodiodes devrait lui permettre de reproduire les couleurs plus justement. Si l’optique est au niveau. Or, de ce que l’on peut lire dans la fiche technique, l’optique de ce 12S Ultra semble alléchante.
Une optique qui fait saliver
Au centre et sous la coupole de verre qui protège les trois modules caméra (lire plus bas), sied l’optique qui pourvoit le capteur du module principal en photons. Et si la qualité de fabrication est au niveau des spécifications, il s’agit d’un bijou. Plus de deux fois plus lumineuse (f/1.9) que celle qui équipait le Panasonic CM1 (f/2.8), premier smartphone intégrant un capteur 1 pouce, elle est aussi plus large. Avec une couverture angulaire équivalent à un 23 mm, il s’agit d’un grand angle bien généreux. Et on espère que Xiaomi a profité de l’imposant « œil » façon HAL de 2001, l’Odyssée de l’espace pour gérer aux mieux les rayons incidents. Avec une ouverture de f/1.9, l’optique qui a été certifiée par Leica ne peut prétendre au Summilux réservé à des ouvertures de f/1.4, mais reçoit tout de même le Summicron des optiques f/2.
La construction de cette optique est de haut niveau pour le monde des smartphones, avec une conception en 8 éléments de polymère (pas de verre dans les smartphones mais des plastiques de pointe), ce qui se fait de mieux en termes de complexité optique dans le domaine. Un élément intéressant du traitement de ces lentilles est que certaines profitent d’une « peinture » noire sur les bords pour réduire les rayons parasites. Loin d’être trivial, ce traitement de surface sur les bords de ces toutes petites lentilles est complexe à industrialiser. Mais il a comme avantage d’éviter les corrections à postériori et de simplifier (et d’alléger) le bloc optique.
Pour la petite histoire, Leica utilise ce genre de procédé sur ses lentilles d’optiques de sa série M. La procédure se fait à la main, un ouvrier (très) qualifié « peignant » à la main les bords des lentilles dans l’usine de Wetzlar. Sauf que pour les smartphones, il faut peindre des millions de lentilles avec une précision micrométrique !
Une stabilisation optique de pointe
Parmi les limites qu’implique l’utilisation d’un capteur imposant, il y avait pour Xiaomi l’impossibilité (ou la très grande difficulté, nous n’avons pas tous les détails des contraintes techniques) d’intégrer une stabilisation mécanique du capteur (ou IBIS pour in body image stabilization). La stabilisation se fait donc optique, c’est-à-dire par le biais d’une lentille « flottante » qui compense les mouvements parasites de l’opérateur.
Et Xiaomi a profité de sa présentation pour donner quelques ordres de grandeur de cette technologie qu’il appelle « Hyper OIS ». Les gyroscopes et accéléromètres intégrés (des composants appelés MEMS) échantillonnent la position de l’appareil 7000 fois par seconde (7 kHz) et le mécanisme est capable de positionner la lentille de stabilisation dans l’une des 56.000 positions possibles en seulement 7 ms. Si ce niveau de précision est rarement (voire presque jamais) donné par les constructeurs, ce qui nous empêche de faire des comparaisons directes, on comprend aisément que la stabilisation promet d’être très rapide.
Détail amusant (et intriguant…) du nom : le Hyper OIS fleure bon les dénominations… Panasonic. On retrouve en effet les mentions « Power OIS » et « Mega OIS » sur de nombreuses références de compacts et optiques du japonais. Or, Panasonic est partenaire de Leica depuis plus de quinze ans et de nombreux échanges technologiques ont eu lieu entre le japonais et l’allemand.
Téléobjectif et ultra grand angle : deux capteurs plutôt grands
Sous la coupole de verre, Xiaomi a logé deux modules caméra secondaires pour élargir la plage optique du 23 mm f/1.9 du module principal : un ultra grand-angle équivalent 13 mm f/2.2 et un téléobjectif équivalent 120 mm f/4.1. Une amplitude qui peut couvrir l’essentiel des besoins des besoins d’un utilisateur lambda. Pour aller plus loin dans le zoom, Xiaomi promet un « zoom x120 » ce qui n’est que du marketing : à ce niveau de zoom numérique, on ramassera les pixels à la truelle.
Cette communication ridicule mise à part, il faut bien avouer que ces deux modules sont, eux aussi, intéressants. Notamment par la taille des capteurs utilisés. Alors que de nombreuses marques utilisent des petits modèles de type 1/3.1 voire 1/4.0 pouce, Xiaomi a profité de son gros dôme de verre pour y aller franco : les deux modules caméra sont au format 1/2 pouce. Leur surface utile est certes largement inférieure au géant qu’est le capteur 1 pouce (30 mm² contre 116 mm²), mais c’est bien ce dernier qui est hors normes. Le format 1/2 est plutôt confortable est, dans les deux cas (téléobjectif et grand angle) supérieur à quasiment toute la compétition. A titre de comparaison, l’ultra grand-angle du Samsung Galaxy S22 Ultra 5G est au format 1/2.55’’ et celui du téléobjectif est encore plus petit (1/3.52’’). Le bilan de la lecture de la fiche technique est donc clair : sur le papier, la surface photosensible de l’ensemble des modules caméra arrière du 12S Ultra devance de loin toute la compétition.
Mais quand bien même Xiaomi affirmerait sa dominance sur les capteurs et les optiques, il reste une inconnue de poids sur le troisième et dernier pilier de la photographie : le traitement numérique de l’image.
L’inconnue du traitement d’image et des couleurs
Le traitement de l’image de la chaîne numérique repose sur un processeur d’image (ISP) et une partie logicielle constituée de moult routines et autres algorithmes qui moulinent au moment et après le déclenchement. Or, dans le domaine de la photographie (et vidéographie) numérique, il vaut mieux un hardware moyen et une excellente partie logicielle. Si on sait que l’ISP est bon – il s’agit du Spectra intégré au processeur Snapdragon 8+ Gen 1 de Qualcomm – on ne sait rien de la partie logicielle. Xiaomi n’a donc pas (encore ?) emboîté le pas des Oppo, Vivo et Apple qui ont tous développé leur propre processeur d’image maison – externe chez Oppo et Vivo, intégré aux puces A dans le cas d’Apple. Une partie de l’équation se trouve dans la maîtrise de cet ISP générique par les ingénieurs de Xiaomi.
Côté traitement d’image, il faut espérer que Leica fasse son job d’intégrateur de technologies comme le fait Zeiss, et apporte un peu de sa science des couleurs. Si la présentation produit fait mention de deux « styles » photographiques Leica (Authentic et Vibrant, comprendre « naturel » et « chatoyant »), cela ne nous dit que peu de choses. Comment le smartphone va-t-il gérer les conditions lumineuses difficiles ? Quelle continuité colorimétrique entre les différents modules espérer, quand Apple domine largement dans ce domaine ?
Alors que les composants sont de plus en plus performants, la quête pour des couleurs justes, elle, ne s’arrête pas. Car chaque capteur, chaque optique a ses spécificités. Et à chaque nouveau composant – et même avec chaque terminal, puisqu’il faut gérer l’équilibre entre les modules – il faut bien souvent réécrire une partie des logiciels pour obtenir des rendus satisfaisants. Des rendus qui doivent en plus être adaptés aux goûts de différentes cultures ! Notre seul a priori se base sur feu le partenariat de Leica avec Huawei, qui avait bien porté ses fruits.
Sur le papier, on sent bien que Xiaomi a mis le paquet pour son premier « Leica-phone » : les capteurs vont de grand (ultra grand-angle, téléobjectif) à géant (module principal). Les optiques sont lumineuses et leur construction complexe (8P, 7P) promettent une bonne qualité de base – c’est-à-dire avant même la correction à postériori. Les deux grosses inconnues sont donc la vitesse des autofocus, valeur clé en 2022 où tous les terminaux haut de gamme sont bons dans ce domaine. Et tout aussi primordial : la qualité des couleurs, devenu LE cheval de bataille de toute l’industrie après la fin de la course aux zooms. Espérons que Xiaomi souhaite lancer son terminal en Europe pour voir si le monde de la photo a vraiment trouvé un nouveau champion.