Enfin de retour chez moi – je veux dire à Majorque – et comme toujours, je sers de guichet de renseignements aux touristes un peu perdus.
Lost in translation
J’ai l’habitude d’être prise pour une locale sur mon lieu de vacances. La « faute » en revient à mon look et aussi au fait que j’ai toujours l’air de savoir où je vais. Ce qui n’est pas toujours le cas, mais, pour 99 % des gens, cela fait illusion.
Un après-midi, après une promenade dans un des villages de Majorque, j’ai dû repasser par la station intermodale de Palma de Majorque. En effet, l’île est divisée en secteurs et la seule façon de relier certaines villes entre elles, est de passer par l’intermodale. Coup de chance, mon bus pour rentrer sur ma station balnéaire m’attendait sagement.
Je grimpe, je valide ma carte et je m’installe. Arrive une jeune fille, avec un accent à couper au couteau. Elle tentait désespérément de demander au chauffeur à quel arrêt elle devait descendre pour rejoindre son hôtel, avec un anglais de cuisine. Quant au chauffeur, à part quelques formules de politesse, il ne parlait pas anglais. Je finis par aller trouver la petite, je lui demande où elle va. Je lui indique son chemin et retourne à ma place.
Ordiphone intelligent pour personne un peu ahurie
Pourtant, elle était greffée à son smartphone. Pourquoi ne pas avoir tout simplement utiliser Google Maps ? Il suffisait de mettre le nom de l’hôtel, le point de départ et Google Maps indique quel bus prendre et à quel arrêt descendre. On peut même voir la route que prend le bus en temps réel.
Je conçois que tous les touristes ne connaissent pas le site de la TIB – la société de transports publics de Majorque – mais Google Maps ou son équivalent sur Apple ?
Je me suis aussi demandée pourquoi elle s’était embêtée à venir depuis l’aéroport jusqu’à l’intermodale alors qu’il y avait un bus direct de l’aéroport jusqu’à sa station balnéaire.
Quelques jours plus tard, j’en parle avec une copine qui vit sur l’île et qui travaille dans le secteur du tourisme. Elle m’a confirmé que la plupart des gens lui posaient des questions parfaitement stupides.
Des questions dont on peut trouver la réponse en quelques clics sur son téléphone portable. D’ailleurs, elle préfère renseigner les retraités. Ils sont généralement plus aimables et elle conçoit que les smartphones sont des outils exotiques pour eux.
Mais, elle est désespérée quand elle doit renseigner des jeunes, qui sont nés avec un smartphone greffé à la main. Ils sont incapables de s’en servir.
Ils savent passer leurs journées sur TikTok – avec le volume en haut-parleur sinon, ce n’est pas drôle – ou faire des selfies sur Instagram.
Mais, ils n’utilisent pas le traducteur de Google, encore moins DeepL. Ils n’utilisent pas Google Maps ni de moteur de recherche.
En vacances, j’oublie tout
Ma copine a une théorie : quand les touristes arrivent en vacances sur l’île, ils laissent leur cerveau à la maison.
Plus tard, on s’est demandé avec quoi on avait commencé l’informatique et son premier souvenir était eMule. C’est alors que les choses sont devenues plus claires : les interfaces sont devenues de plus en plus accessibles, mais les connaissances des utilisateurs n’ont pas suivi.
À la grande époque d’eMule, il fallait déjà installer un client, si possible, le bon, sans virus, savoir trouver les fichiers, comprendre pourquoi on ne les avait pas en quelques instants ou presque et bien souvent, recommencer, car le fichier souhaité n’est pas du tout ce que l’on voulait à la base.
Je suis toujours frappée par les avancées technologiques dont nous sommes capables. En quelques mois à peine, des millions de personnes se sont emparés des outils d’intelligence artificielle. Les smartphones sont présents absolument partout. On trouve des équipements de smart cities de plus en plus fréquemment. Et pourtant, l’humain n’a pas évolué à la même vitesse. Il achète ces outils numériques comme des jouets, mais, sans les maîtriser, sans en tirer le meilleur parti.
Pitié, des gens !
Un smartphone est conçu pour être accessible au plus grand nombre. Alors pourquoi ne pas s’en servir pour se faciliter la vie, surtout quand on visite un endroit inconnu pour la première fois ?
Peut-être que l’explication tient aussi bien au besoin d’interactions sociales. En dépit du fait que cette jeune fille était manifestement venue sur l’île avec une copine, elle ressentait probablement le besoin de parler avec quelqu’un de l’île pour être sûre d’arriver à bon port.
Notez aussi que contrairement aux bus de la RATP, dans les bus de la TIB, le parcours complet n’est pas indiqué dans les bus, ce qui est une erreur.
Cette théorie est plus séduisante que celle qui veut que les gens sont tout simplement stupides. Elle explique aussi pourquoi les gens ressentent le besoin de passer leur journée sur les réseaux sociaux alors qu’ils viennent à deux ou plus en vacances.
Personne n’est surpris que je sois accrochée à mon smartphone sur mon transat : je suis venue seule. Donc, entre deux siestes et une lecture intensive, je passe du temps sur Twitter, Discord ou WhatsApp.
Mais, quand je retrouve des amis sur l’île, j’oublie mon téléphone dans mon sac. Est-ce pour combler une forme de solitude que les gens ont décidé de ne pas tirer le meilleur parti de leurs outils ? Pour avoir un prétexte pour discuter avec des gens qu’ils ne connaissent pas ?