En décembre dernier, le constructeur chinois de smartphone Oppo dévoilait son premier coprocesseur audio maison, le MariSilicon Y. Une puce qui s’ajoute au MariSilicon X, son premier coprocesseur d’image annoncé avec son Oppo Find X5 Pro, lancé début 2022. Et il n’en a pas fallu beaucoup plus pour que des bruits de couloirs commencent à parler du développement d’un System on a Chip (SoC) 100% maison.
OPPO independently developed the processor, which will be used in OPPO smartphones in 2024.
— Ice universe (@UniverseIce) December 30, 2022
Oppo n’a évidemment pas commenté ces rumeurs, mais dans le contexte actuel, cette histoire n’a rien de fou. De quel contexte parle-t-on ? Celui qui conjugue, dans un marché où tous les produits sont des rectangles avec un écran, le besoin de se différentier des autres. Et pour cela, la maîtrise du processeur peut s’avérer être un atout capital.
Quel est l’intérêt de concevoir sa propre puce ?
Les concepteurs de puces ne sont pas légions. Les champions que sont Qualcomm et MediaTek sont les principaux vendeurs « sur étagère » du monde Android, avec une présence marginale de Samsung et ses Exynos, qu’il intègre dans certains de ses terminaux et qu’il vend à quelques rares constructeurs. Parmi les constructeurs/concepteurs, on retrouve Apple et Samsung, ainsi que Google qui s’appuie sur des plans de Samsung pour développer ses puces Tensors. Il y a aussi Huawei et sa filiale HiSilicon, mais l’histoire est… compliquée !
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S’il est logiquement bien plus facile de concevoir un smartphone en utilisant des puces d’entreprises spécialisées dans le domaine, au bout d’un moment, les entreprises d’une certaine taille (ou avec un gros portefeuille comme Google) ont toutes intérêt à réfléchir à prendre le contrôle de leur SoC. Le bon exemple étant Apple. Si ce contrôle a mis du temps à porter ses fruits – les premières générations étaient très énergivores par exemple – il est aujourd’hui un des éléments de la réussite d’Apple. Entre le GPU aux petits oignons, le processeur neuronal exemplaire ou le processeur d’image (ISP) parfaitement calibré, Apple a pu faire la différence. Que ce soit en matière de puissance pure, de fonctionnalités (premier triple ISP capable d’enregistrer simultanément trois flux vidéo) ou de consommation énergétique.
Ce modèle avait déjà permis à Huawei de dominer le monde Android avec ses puces Kirin (premiers sur l’intégration de modem 5G au sein du SoC). Il permet à Google, dans une moindre mesure, de se distinguer. En s’appuyant sur une puce Exynos de Samsung, Google dispose d’une solide base où l’intégration de son puissant processeur neuronal lui permet à la fois de couvrir les besoins classiques, tout en brillant dans certaines tâches.
Pas une recette miracle : l’exemple Samsung
Si le tableau semble parfait, le contrôle d’une puce n’est cependant ni une sinécure, ni une garantie de réussite. Pour s’en convaincre, il suffit de jeter un coup d’œil aux aspects techniques d’une part. Et aux précédents de l’industrie, d’autre part. En matière de conception de puce, il faut d’abord réaliser la complexité de ce que représente un SoC. Ce tant du point de vue de la partie technologique que légale. En matière de « simple » technologie, il vous faut réaliser qu’un SoC moderne est une puce monolithique gravée en 4/5 nm intégrant un CPU, un GPU, un NPU, un ISP, un modem, une puce sans-fil (Bluetooth et Wi-Fi), et une flopée de contrôleurs secondaires (écran, énergie, etc.). Si les plans de puces du Britannique ARM permettent de s’appuyer sur des bases directement opérationnelles, appliquer purement ces plans a peu d’intérêt – Qualcomm et MediaTek feront mieux. Il faut investir encore plus d’argent pour concevoir le plus possible de « briques » technologiques différentes. Entre le demi-milliard que représente la conception d’une puce aussi finement gravée et les différentes licences que vous allez devoir payer à Qualcomm et autres (qui ont des brevets sur la 5G et toutes les technologies du genre), la note va être salée.
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Mais en plus, un exemple a de quoi refroidir : celui de Samsung. Alors que le Coréen est le second fabricant de semi-conducteurs au monde et conçoit des SoC ARM depuis plus de deux décennies, sa stratégie est au point mort. Après avoir fermé sa division de conception de CPU ARM aux Etats-Unis, Samsung avait annoncé s’allier avec AMD pour intégrer un GPU RDNA « super performant ». Une coopération qui a mené à l’Exynos 2200, qui s’est avéré tout à la fois moins puissante et plus énergivore que le Snapdragon 8 Gen 1, de Qualcomm ! Ici, la solution de Google, un acteur secondaire des smartphones à côté des géants, est très pertinente. Car l’Américain s’est concentré sur un bloc sur lequel il savait pouvoir faire la différence – tout en profitant de l’expérience de Samsung. Qui sait tout de même concevoir des puces de qualité, quoiqu’inférieures à Qualcomm.
Oppo déjà méthodique dans sa démarche actuelle
N’ayant pour l’heure pas d’autre faisceau de preuves de la volonté d’Oppo de « passer à l’acte », tenons-nous en au conditionnel, pour aborder son hypothétique développement de puce maison. Si c’est bien le cas, sa démarche est très rationnelle. En commençant par un soutien de l’image (sa puce MariSilicon X qui épaule l’ISP des Snapdragon), puis en passant par l’audio, le Chinois a désormais un certain contrôle sur la partie multimédia de ses futurs smartphones. La question étant de savoir quelle pourrait être la prochaine étape de différenciation. Et dans ce contexte, il faut jouer au jeu des éliminations. Le premier élément que l’on peut éliminer est le modem 5G. Le domaine de la téléphonie est en effet verrouillé par les brevets de Qualcomm et Huawei. Le contrôle de leur propriété en la matière est tel que même Apple, avec ses poches pleines, ses ingénieurs de pointe et les brevets de l’ancienne division modem mobile d’Intel, prend du retard dans le développement de son modem maison !
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Vient ensuite le CPU custom. Dans ce domaine, non seulement Samsung, mais aussi Qualcomm ont, à peu de chose près, jeté l’éponge et s’appuient sur les designs de base d’ARM tant ceux-ci sont efficaces. Même si, pour la partie PC, les cœurs CPU “Oryon”, de Qualcomm, pourraient changer la donne à moyen terme. Ne restent alors que trois composants : le NPU, le GPU et l’ISP. Trois « blocs » qui sont, selon toute vraisemblance, les meilleurs candidats pour une puce à la sauce Oppo.
Le NPU est le meilleur des trois à notre sens. D’une part parce que les deux précédentes puces du Chinois sont des NPU spécialisés dans des tâches multimédias, chacun soulageant un processeur « maître », l’un pour la photo et l’autre pour l’audio. Apple et Google ont prouvé l’intérêt de maîtriser la conception des NPU par des applications phares – la photo et la vidéo pour le premier, la transcription et la traduction en temps réel pour le second. L’ISP pourrait, lui aussi, être développé en interne puisque la volonté de contrôle du process de traitement l’imagerie était déjà au cœur de la conception du MariSilicon X. Quant au GPU, il pourrait certes être développé en interne, mais la tâche est vraiment très complexe et faire appel à un tiers comme Imagination – qui épaule déjà Apple depuis des années – semble un scénario plus probable.
Seul ou en partenariat ?
Oppo a déjà développé et fait produire deux puces externes et a donc de l’expérience dans le domaine. Mais un SoC est plus qu’un simple coprocesseur : la complexité de l’intégration de tous ces processeurs dans une seule puce est une tâche dantesque. Et comme on l’a vu, certaines briques comme les télécommunications sont bardées de brevets – et d’autres comme les GPU sont extrêmement compliquées à concevoir de zéro. Oppo pourrait alors aller chercher un partenaire, comme l’a fait Google avec Samsung. Sauf que dans le cas d’Oppo et Samsung, les deux sont des concurrents directs, car des acteurs du top 5.
Le bon client à notre sens serait MediaTek. Numéro 1 en volume et numéro 2 en valeur dans le monde des SoC (à la fois sur les smartphones, les PC, les set-top boxes et même les téléviseurs), le Taïwanais sait s’adapter à ses clients, est un cador de l’intégration de blocs IP (CPU, GPU, etc.). Mieux, il dispose déjà de brevets et des procédures légales de ces intégrations pour sortir des puces viables. Ce partenariat semble plus facile pour le numéro 4 mondial des smartphones que de partir tout seul. Un autre acteur qui pourrait rentrer en considération est Huawei. Privé de la possibilité de faire fabriquer ses propres puces et interdit des services Google, le Chinois fait évoluer son modèle économique et commence à accélérer sur la licence à des tiers de ses brevets. Une manière pour Oppo de contourner Qualcomm ?
Quoi qu’Oppo choisisse, si l’entreprise chinoise lance vraiment un SoC en 2024, cela pourrait sonner comme un changement majeur du segment des puces mobiles. Après une décennie de domination de Qualcomm et MediaTek, cette nouvelle donne apporterait avec elle un nouveau dynamisme. Si une fragmentation technologique est à craindre, l’émulation que peut représenter une compétition accrue dans le domaine pourrait, à moyen terme, être bénéfique à l’innovation.