Un an après les premières révélations des enquêtes « Story Killers », un projet coordonné par l’organisation Forbidden Stories et auquel ont participé plusieurs médias, dont Le Monde, sur les campagnes d’influence et d’ingérence étrangères, les procédures judiciaires progressent, contribuant à alerter sur un phénomène longtemps sous-estimé. Un peu partout dans le monde, des officines se sont spécialisées dans la vente des services « clé en main » à des Etats ou à des responsables politiques, dans le but de faire basculer les opinions dans un sens qui leur soit favorable, de peser sur le cours d’une élection ou de salir la réputation de leurs adversaires.
Le défi est d’autant plus complexe que la menace est invisible. Le poison des fausses opinions et des « vérités alternatives » s’immisce dans nos vies quotidiennes grâce aux réseaux sociaux, et parfois même à travers la corruption de médias traditionnels ou d’élus. Sur le Net, les faux comptes, les avatars et les robots informatiques prospèrent, qui disséminent des tombereaux de fausses nouvelles pour déstabiliser, polariser et parfois appeler à la violence.
La plupart du temps, ces opérations touchent des publics limités. Il serait pourtant dangereux de relativiser leur ampleur. D’abord, les tentatives de manipulation de l’opinion sont de plus en plus nombreuses. Selon un rapport de l’Oxford Internet Institute, en 2020, plus de 81 pays avaient eu recours à ce type de campagne organisée sur les réseaux sociaux. Tout laisse à penser que le mouvement s’intensifie parallèlement à l’augmentation des désordres du monde.
Ensuite, comme toute industrie, l’ingérence, une fois passé le stade artisanal, cherche à se sophistiquer. L’intelligence artificielle et les « deepfakes » ne font que faciliter le travail des manipulateurs, dont les modes opératoires ne cessent de se diversifier.
Propagande prorusse
Les autorités françaises ont ainsi révélé, le 12 février, la mise au jour par Viginum, le service de vigilance et de protection contre les ingérences numériques étrangères, d’un réseau constitué de 193 faux sites d’information visant aussi bien la population ukrainienne que des Etats européens, dont la France, l’Allemagne et la Pologne. L’enquête a permis d’établir que ce réseau était relié à un prestataire technique russe.
Plusieurs gouvernements européens constatent actuellement une recrudescence de l’activité de désinformation d’origine russe, qu’ils placent dans le contexte d’une guerre hybride menée par Moscou dans le but d’affaiblir le soutien occidental à l’Ukraine.
Comme en matière de sécurité informatique, peu importe que l’immense majorité des attaques échouent. Il suffit d’une, bien ciblée, pour déstabiliser une organisation. Pour faire mouche, il faut que le contexte s’y prête. Ce fut le cas récemment de l’affaire des étoiles de David taguées dans les rues de Paris. Les images, largement relayées par le réseau de propagande prorusse Doppelgänger, visaient à attiser les tensions au sein de la société française en plein conflit israélo-palestinien.
Il s’agit souvent de cibler de petits noyaux de personnes « en rupture », complotistes, militants de partis extrémistes, idiots utiles de puissances rivales pour en faire des relais dans l’espoir d’atteindre des cercles plus larges. Les fractures des sociétés démocratiques décuplent les effets de ces manipulations. Il nous appartient de tenter de les réduire, et d’exercer notre vigilance sur cette nouvelle menace. Ce sont des agressions pures et simples, qu’il faut débusquer et combattre comme telles.