Face à la montée en puissance du jeu sur mobile et du cloud gaming, les consoles de jeux traditionnelles pourraient-elles devenir obsolètes ? Certains experts de l’industrie estiment que oui. Dans une interview donnée à Eurogamer, Shawn Layden (ancien dirigeant chez PlayStation Studios) avance ainsi différents arguments pour soutenir cette théorie, notamment le coût exorbitant du développement des jeux AAA, la relative stagnation technologique des consoles et l’attrait croissant des plateformes alternatives pour les joueurs.
L’engrenage fatal du développement des jeux AAA
Autrefois symbole de créativité et d’innovation, l’industrie du jeu vidéo se trouve aujourd’hui piégée dans une spirale infernale. La course effrénée à la production de jeux AAA toujours plus spectaculaires et ambitieux, en particulier graphiquement, a engendré une inflation des coûts de développement qui menace la viabilité même du modèle. Les budgets nécessaires pour créer ces blockbusters numériques se chiffrent désormais en centaines de millions de dollars, mettant une pression immense sur les studios et les éditeurs.
La complexité technique des jeux a en effet explosé, avec l’arrivée de graphismes ultra-réalistes et de vastes mondes ouverts, accompagnés par de l’intelligence artificielle et des fonctionnalités en ligne sophistiquées. Pour répondre aux attentes des joueurs, les équipes de développement doivent être toujours plus nombreuses et les temps de production s’allongent, faisant grimper les coûts.
La pression du marché pousse en parallèle les éditeurs à privilégier les valeurs sûres, au détriment de l’innovation. Face à des investissements colossaux, la prise de risque devient un luxe que de moins en moins de studios de développement peuvent se permettre. Les suites de franchises à succès, les adaptations de films ou de comics, et les jeux reprenant des mécaniques éprouvées dominent le paysage, laissant peu de place aux idées originales.
Cette course aux armements technologique et financière a forcément des conséquences néfastes sur la créativité. Contraints de rentabiliser leurs investissements, les studios sont souvent poussés à produire des jeux formatés répondant à des cahiers des charges précis et limitant les expérimentations. Les développeurs, soumis à des rythmes de travail effrénés, peinent à s’épanouir et à exprimer leur vision artistique.
L’obsession du photoréalisme, souvent citée comme un des moteurs de l’inflation des coûts, est également remise en question. Si la recherche de graphismes toujours plus proches de la réalité a permis des avancées spectaculaires, elle a aussi ses limites. Cette quête effrénée du réalisme visuel nuit à l’identité artistique des jeux ; d’autres voies négligées, comme le style cartoon ou l’abstraction, pourraient offrir des expériences tout aussi immersives et originales.
Pour Shawn Layden, cette quête du réalisme à tout prix a atteint ses limites, et l’innovation doit désormais se tourner vers d’autres aspects du jeu, comme la narration, les mécaniques de gameplay ou l’intelligence artificielle. Dès lors, faut-il continuer de produire des jeux toujours plus gigantesques et coûteux, au risque de voir le modèle économique s’effondrer ? Ou faut-il repenser la manière dont les jeux sont conçus et financés, en favorisant des projets plus modestes, mais aussi plus créatifs et originaux ? L’ancien dirigeant plaide, en tout cas, pour un retour à des jeux plus courts et plus intenses, offrant des expériences plus ciblées et impactantes.
Des modèles alternatifs de financement, comme le crowdfunding ou les abonnements, pourraient également permettre aux studios de s’affranchir des contraintes des éditeurs traditionnels. L’avenir du jeu vidéo AAA dépendra dans tous les cas de la capacité de l’industrie à se remettre en question et à trouver un équilibre entre ambitions technologiques et artistiques, viabilité économique et créativité.
L’essoufflement technologique des consoles de jeu
Autre constat qui s’impose : après des décennies de progrès technologiques, les consoles de jeu conçues pour offrir des expériences de divertissement immersives semblent atteindre un plafond technologique. Et ce n’est pas la récente sortie de la PS5 Pro de Sony qui viendra nous contredire. Les bonds spectaculaires en termes de puissance de calcul et de fidélité graphique, qui marquaient chaque nouvelle génération, s’estompent, et l’écart technologique entre les générations se réduit : l’innovation matérielle ne sera bientôt plus le principal moteur de l’industrie.
La standardisation des composants électroniques limite en effet les possibilités de différenciation entre les plateformes. Les processeurs et les chipsets graphiques proviennent désormais généralement des mêmes fournisseurs. Les consoles actuelles comme la PlayStation 5 ou de la Xbox Series X partagent par exemple des architectures et des composants similaires, provenant de chez AMD en l’occurrence, rendant les différences de performances moins flagrantes qu’auparavant.
La loi des rendements décroissants se fait également sentir : l’ajout de puissance brute ne se traduit plus nécessairement par une amélioration significative de l’expérience de jeu. Les joueurs, habitués aux prouesses graphiques des consoles actuelles, ont du mal à percevoir la différence entre une image en 4K native et une image en 4K upscalée de manière intelligente (via FSR ou PSRR), ou dans une moindre mesure entre un jeu fonctionnant à 60 images par seconde et un jeu fonctionnant à 120 images par seconde.
Le plafonnement technologique des consoles ne signifie pas pour autant la fin de l’innovation dans le domaine du jeu vidéo. Au contraire, il pourrait libérer la créativité des développeurs, en les encourageant à explorer de nouvelles pistes et à proposer des expériences de jeu plus originales et audacieuses. Le contenu exclusif, les services en ligne et l’ergonomie des interfaces pourraient également prendre une importance accrue.
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L’attrait des plateformes alternatives
Face à l’essoufflement technologique des consoles et aux coûts exorbitants du développement AAA, les plateformes alternatives telles que le jeu en streaming ou sur mobile gagnent du terrain, séduisant un public de plus en plus large. S’affranchissant des contraintes matérielles traditionnelles, elles offrent une flexibilité et une accessibilité inédites, répondant aux nouveaux modes de consommation du divertissement numérique.
Le cloud gaming, fer de lance de cette révolution, permet de jouer à des jeux vidéo de haute qualité sur une variété d’appareils, sans avoir besoin de posséder une console de dernière génération (ou un PC puissant). Les jeux sont exécutés sur des serveurs distants et diffusés en temps réel sur l’écran du joueur, via une connexion internet. Cette technologie, longtemps freinée par les limitations des infrastructures réseau, arrive aujourd’hui à maturité, portée par le déploiement de la fibre optique et de la 5G et des acteurs comme NVIDIA avec son offre GeForce Now, ou le Xbox Cloud Gaming de Microsoft. L’attrait du jeu en streaming réside dans sa simplicité d’utilisation et sa flexibilité : il suffit de s’abonner à un service de streaming pour accéder à un catalogue de jeux, accessible instantanément sur son smartphone, sa tablette, son ordinateur portable ou sa télévision connectée.
Le jeu sur mobile, autre plateforme alternative en plein essor, séduit un public toujours plus large, notamment grâce à la démocratisation des smartphones gaming et à l’émergence de jeux mobiles de qualité. Les jeux mobiles, autrefois limités à des expériences simples et casual, offrent aujourd’hui des graphismes impressionnants, des mécaniques de gameplay complexes et des univers narratifs riches.
La popularité du jeu sur mobile s’explique principalement par son accessibilité et sa portabilité. Le smartphone devient une véritable console de jeu portable, permettant de jouer n’importe où, n’importe quand. Les jeux mobiles, souvent gratuits ou proposés à des prix très attractifs, séduisent également un public plus jeune et moins enclin à investir dans des consoles traditionnelles.
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Face à ces défis, l’avenir des consoles de jeux vidéo apparait donc incertain. Elles pourraient disparaître à terme, remplacées par des plateformes de streaming plus flexibles et plus évolutives. Les consoles pourraient également se transformer, en s’orientant vers des modèles hybrides, combinant le jeu en local et le jeu en streaming. Quoi qu’il en soit, l’industrie du jeu vidéo est à un tournant et ce seront les joueurs qui décideront in fine du chemin qu’elle empruntera.
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Source :
Eurogamer