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Chido a frappé Mayotte le 14 décembre 2024 et c’est finalement le 30 décembre 2024 que le Premier ministre François Bayrou s’est rendu sur place.
Dans les mesures, il a annoncé « nous allons déployer 200 Starlink pour assurer les télécommunications en urgence ».
Urgence manifestement relative
Disons-le tout net : si n’importe quel autre département hexagonal avait été frappé par une catastrophe naturelle de la même ampleur que Chido, le traitement n’aurait pas été le même. Qu’il ait fallu seize jours pour que le Premier ministre et ses ministres aillent sur place, montre le peu de considération que le Gouvernement a pour Mayotte.
Au 31 décembre 2024, l’électricité n’est toujours pas entièrement rétablie et il semblerait qu’il faille attendre la fin du mois de janvier pour que cela soit le cas. Les populations n’ont pas d’eau courante, faisant que certains ont mis en place une collecte d’eau de pluie, avec tous les risques sanitaires que cela comporte.
Tout le reste est plus ou moins du même acabit et cela n’est pas le fait des équipes qui sont sur place et font avec les moyens du bord. C’est Paris qui pédale dans la choucroute. Si j’aurais longuement l’occasion de travailler sur le projet de loi sur Mayotte dans les colonnes du Projet Arcadie, je vais m’attarder sur cette histoire de déploiement de Starlink.
Starlink : l’une des créations d’Elon Musk
Qu’est-ce que Starlink ? Il s’agit d’un fournisseur d’accès à Internet par satellite de la société SpaceX, les deux entités appartenant à Elon Musk. Starlink a été déployé dans l’espace Mahorais en février 2023, la technologie est donc présente.
Pour autant, doit-on vraiment s’appuyer dessus, surtout quand on est un État ? L’Ukraine avait fait ce choix, dans des circonstances tout à fait différentes. Au début du conflit, Starlink avait envoyé des terminaux à la population pour qu’elle puisse avoir accès à Internet. En avril 2022, Elon Musk a décidé d’éteindre les antennes.
Entre-temps, Elon Musk a bruyamment fait campagne pour Donald Trump, l’a soutenu financièrement, a incité les internautes à faire de même et s’affiche en soutien de l’AFD, un parti d’extrême-droite allemand. Depuis la victoire de Trump, il est question qu’il fasse partie du Gouvernement américain. Il y a donc des aspects géopolitiques et stratégiques à prendre en compte, tant Starlink n’est pas neutre. La technologie en elle-même est intéressante, mais son patron est trop lunatique pour lui faire confiance.
Colère chez Orange
Laurentino Lavezzi n’a pas mâché ses mots devant la déclaration de François Bayrou. Dans un message posté sur X (anciennement Twitter), il a dit tout le mal qu’il pensait de cette décision. Il en a profité pour rappeler l’engagement des équipes d’Orange pour remettre le réseau en route. En effet, il est directeur des affaires publiques du groupe Orange.
Doit-on y voir une prise de position d’un tech hors-sol n’ayant aucune connaissance des affaires gouvernementale, un geek dans son garage ? Pas tout à fait. En fait, Lavezzi est un pur produit de l’administration française : Institut Régional d’Administration de Bastia, Conseil de la Concurrence – devenu Autorité de la Concurrence – il fait un passage au cabinet du ministre de l’Économie et des finances, chargé de l’économie sociale et solidaire et de la consommation en 2013, puis du ministre de l’Éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche avant de rejoindre Orange.
Faut-il voir dans sa réaction, une jalousie quelconque ? En fait, pas tant que ça. Au-delà de l’exercice de communication, il pointe une réalité technique : les textes législatifs et réglementaires ne sont pas assez souples pour permettre une restauration rapide des réseaux.
Une histoire de pylônes et de littoral
Pour comprendre le point soulevé par Lavezzi, il faut se tourner vers M° Archambault, qui aime les histoires de réseaux. Il l’explique mieux que moi, mais, en résumé, les équipes techniques des télécoms ne peuvent pas installer des antennes ou des pylônes n’importe où ni n’importe comment. En effet, Mayotte est une île et qui dit île dit loi littoral.
Toute la question est de savoir si le projet de loi pour Mayotte comprendra des assouplissements afin de connecter la population. Car, il ne s’agit pas seulement de permettre aux Mahorais de regarder Netflix comme l’ont écrit avec stupidité certains, mais de communiquer. La partie nord de l’île est toujours dans le brouillard et certains endroits ne sont pas encore déblayés.
En axant son propos sur Starlink, François Bayrou donne implicitement instruction à la préfecture de les prioriser sur les opérateurs Français, alors que les obligations légales et réglementaires ne sont absolument pas les mêmes.
Manque cruel d’anticipation
Naturellement, les parlementaires ont sauté au plafond en entendant le Premier ministre. Certains avancent la question de la souveraineté numérique, ce qui est un argument valable dans le cas présent, mais il y a autre chose.
On peut déployer Starlink en urgence après une catastrophe naturelle, mais pourquoi cela n’a pas été anticipé ? On l’a dit précédemment : Starlink couvre l’espace Mahorais depuis bientôt deux ans. S’il y a bien une chose que les films catastrophe nous apprennent – et vous savez que c’est l’une de mes grandes passions avec le cinéma d’horreur – est qu’un évènement est toujours plus destructeur qu’escompté. Mayotte est dans la saison des cyclones. D’ailleurs, posons-nous la question : est-ce que des Starlink sont disponibles à la Réunion ?
Les catastrophes naturelles ont un point commun avec la sécurité informatique : elles coûtent toujours plus cher si elles ne sont pas anticipées. Si vous prévoyez un budget de 100 € pour votre sécurité informatique, vous pouvez être sûr qu’un incident vous coûtera 10 000 €. On est dans le même cas de figure avec une cruelle ironie, car le rapport parlementaire sur la gestion des risques climatiques en outre-mer parlait du manque d’investissement.
Le projet de loi sur Mayotte doit être présenté lors du premier conseil des ministres du Gouvernement Bayrou, le vendredi 3 janvier 2025. On verra ce qu’il comportera. Le Zapping Décrypté vous souhaite une bonne année 2025.