En ligne, les signes annonciateurs étaient plus que perceptibles. L’assaut mené contre la Cour suprême, le Congrès et le palais présidentiel brésiliens par les partisans de l’ancien président Jair Bolsonaro, dimanche 8 janvier, a en effet laissé de nombreuses traces de son élaboration sur les réseaux sociaux.
Sur Twitter, ce sont plus de 10 000 comptes qui ont ainsi partagé, depuis vendredi, l’expression « Festa da Selma » – un jeu de mots sur une expression évoquant une « fête du cri de guerre » –, d’après le chercheur Arcelino Silva Neto, de l’université de Sao Paulo. Un message à peine voilé pour appeler les militants de Jair Bolsonaro qui pensent que l’élection brésilienne a été truquée à se rendre à Brasilia pour manifester leur mécontentement, tout comme « Stop the steal » avait été le mot d’ordre des émeutiers américains du 6 janvier 2021.
Sur Telegram et sur WhatsApp, plus que des mots d’ordre, ce sont des consignes pratiques que s’échangeaient les manifestants : plans de la capitale brésilienne, adresses de points de rendez-vous, itinéraires, conseils… Dans les groupes pro-Bolsonaro, les journalistes brésiliens ont pu documenter des dizaines de messages donnant les itinéraires et horaires des « caravanes de la liberté », des bus mis à disposition pour conduire les manifestants à la capitale, située au cœur du pays, loin des grandes agglomérations.
Blocage sur les réseaux sociaux
Meta, qui possède Facebook, WhatsApp et Instagram, a annoncé dimanche en fin de journée avoir activé un plan spécial pour les événements à haut risque, et supprimé une grande quantité de messages appelant à prendre les armes ou à s’attaquer aux bâtiments officiels. « Nous considérons ces événements comme à risque, ce qui signifie que nous supprimerons aussi tous les messages qui encouragent ou approuvent ces actions », a déclaré, sur CNN, le porte-parole de Meta, Andy Stone. « Nous suivons la situation de près et nous continuerons de supprimer ces messages qui violent nos règles. »
Sur Instagram, TikTok ou Telegram, les émeutiers ont aussi diffusé de nombreuses séquences prises depuis l’intérieur des bâtiments officiels, posant parfois dans les bureaux de fonctionnaires ou d’élus, ou filmant, dans des images qui ont choqué, des policiers semblant leur envoyer des signes d’encouragement. Dans l’après-midi, la Cour suprême brésilienne a ordonné à tous les grands réseaux sociaux de bloquer les messages incitant à la violence.
Ces attaques semblent par ailleurs avoir trouvé un fort écho auprès des sphères pro-Trump aux Etats-Unis : plusieurs hashtags en anglais soutenant les manifestants ont été diffusés dimanche, tandis que des figures de l’extrême droite américaine, comme Steve Bannon, publiaient des messages affirmant, à tort, que l’élection brésilienne avait été truquée.
Enjeux cruciaux de modération
Au Brésil, plus encore que dans d’autres pays, la modération des réseaux sociaux est, depuis une décennie, un enjeu majeur. Dans une région où l’écrasante majorité des citoyens utilise quotidiennement WhatsApp et plusieurs réseaux sociaux, les militants bolsonaristes ont très tôt constitué des groupes structurés pour diffuser fausses informations et propagande électorale en ligne. Ces dernières années, la modération des réseaux sociaux a fait dans le pays l’objet d’une âpre bataille juridique. En 2020, la Cour suprême brésilienne, elle-même victime de campagnes de dénigrement de la part des soutiens de Jair Bolsonaro, avait contraint Facebook à fermer plusieurs comptes de proches de l’ancien président.
La Cour suprême avait même pris une décision radicale en mars 2022 : estimant que la messagerie Telegram, très peu modérée, n’agissait pas assez pour lutter contre la désinformation qui pullulait sur sa plate-forme, elle avait ordonné le blocage pur et simple de l’application, avant de faire marche arrière. Entre-temps, le fondateur de la messagerie, Pavel Dourov, avait présenté ses excuses, assuré qu’il s’agissait d’un simple malentendu, et promis de mettre en place diverses mesures de modération. Essentiellement symboliques, ces dernières n’ont pas empêché la diffusion massive, dimanche, de consignes pour les émeutiers.
Surtout, entre l’élection de Lula, le 30 octobre, et ces dernières émeutes, c’est un autre réseau social qui a fait volte-face sur ses pratiques de modération dans le pays : Twitter. Depuis son rachat fin 2022 par Elon Musk, l’entreprise a licencié l’essentiel de ses prestataires chargés de la modération, ainsi que tous les salariés de son antenne brésilienne, à l’exception de quelques commerciaux, selon les informations du Washington Post. Parmi les congédiés, huit salariés à Sao Paulo spécifiquement chargés de la lutte contre la désinformation et les incitations à la violence. La plate-forme a également rétabli les comptes de plusieurs militants bolsonaristes et complotistes connus, dont celui du député Gustavo Gayer.
Le Monde
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Un changement de politique qui n’a rien d’un accident : depuis son arrivée à la tête de Twitter, Elon Musk a fait de multiples clins d’œil à l’extrême droite brésilienne, accréditant dans plusieurs messages l’idée que les employés du réseau social au Brésil étaient acquis à la gauche. Jair Bolsonaro, qui avait rencontré Elon Musk en mai 2022, avait salué sa prise de contrôle du réseau social. « C’est le début d’une relation qui se terminera par un mariage », avait-il plaisanté après l’avoir rencontré.