un test pour l’Union européenne

un test pour l’Union européenne


Jusqu’où peut aller la liberté d’expression sur les plates-formes numériques ? L’arrestation par les autorités françaises, samedi 24 août, du fondateur et PDG de la messagerie Telegram, Pavel Durov, à l’aéroport francilien du Bourget (Seine-Saint-Denis), relance un débat beaucoup moins simpliste qu’il n’en a l’air, et essentiel pour l’ordre démocratique moderne.

Pavel Durov, 39 ans, défend une approche libertarienne de cette question, qui explique en partie la fâcheuse situation dans laquelle il se trouve. A la tête d’une plate-forme qui regroupe près de un milliard d’utilisateurs, il refuse, au nom d’une opposition de principe à la censure, les méthodes de modération de contenu qu’appliquent la plupart des autres plates-formes. Pour les mêmes raisons, il s’est abstenu jusqu’ici de répondre volontairement aux questions des autorités régulatrices dans divers pays.

Cette attitude a fait de Telegram une messagerie à double tranchant : précieuse pour les opposants qui peuvent ainsi communiquer à l’abri de la surveillance des régimes dictatoriaux, elle est aussi providentielle, car cryptée, pour les pédophiles, criminels, cybercriminels et terroristes de toutes sortes, libres d’étendre leurs réseaux sans être inquiétés. C’est cette deuxième dimension qui explique l’arrestation de M. Durov, que la justice française voulait interroger à propos d’infractions commises sur Telegram aux lois punissant l’escroquerie, le trafic de stupéfiants, le cyberharcèlement, la criminalité organisée et l’apologie du terrorisme. Le fait que sa garde à vue initiale de 24 heures ait été prolongée dimanche à 96 heures laisse penser que ce sont les infractions les plus graves qui intéressent les enquêteurs.

En délicatesse avec le pouvoir russe

L’affaire secoue le monde de la communication numérique, où les sympathisants de l’approche de Pavel Durov, comme Elon Musk, patron du réseau X (anciennement Twitter), ont dénoncé une violation de la liberté d’expression. Elle constitue aussi un test juridique et politique important pour l’Union européenne, devenue ces dernières années la championne de la régulation démocratique des plates-formes numériques. Particulièrement exposés au terrorisme et aux campagnes de désinformation qui cherchent à déstabiliser les démocraties, les pays européens sont contraints de renforcer leur vigilance, dans le respect de l’Etat de droit.

L’UE a dû pour cela croiser le fer avec les géants américains, imprégnés de la culture du premier amendement de la Constitution des Etats-Unis garantissant la liberté d’expression et du libéralisme de la Silicon Valley – soucieux aussi de préserver leurs capacités d’innovation et leurs immenses profits. Bon gré mal gré, ils ont accepté le dialogue et fini par se ranger aux restrictions imposées par le Digital Services Act, le règlement européen sur les services numériques adopté en 2022.

D’ordinaire peu bavard, Pavel Durov est un cas à part ; il a fui la Russie en 2014 juste après avoir créé Telegram, en délicatesse avec le pouvoir russe sur la messagerie VKontakte fondée avec son frère. Il a acquis depuis diverses nationalités, celle de l’Etat caribéen Saint-Christophe-et-Niévès, celle des Emirats arabes unis et plus mystérieusement, en 2021, la nationalité française. Il réside à Dubaï, où il a établi le QG de Telegram, et Forbes estime sa fortune à 15 milliards d’euros. Telegram est largement utilisé en Russie, y compris par le pouvoir, qui a protesté contre l’arrestation de M. Durov. Peut-être faut-il rappeler au Kremlin qu’en Europe nul n’est censé ignorer la loi.

Le Monde

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