« Etes-vous une personne plutôt intelligente ou drôle ? », « Quelle importance accordez-vous à l’humour ? ». Voici quelques-unes des questions auxquelles il faut répondre pour s’inscrire sur Timeleft, une application de rencontres amicales fortuites. Remplissez le questionnaire, choisissez un abonnement (de 12,99 euros la journée à 69,99 euros les six mois) et laissez l’algorithme vous présenter six autres utilisateurs, que vous rencontrerez autour d’un repas.
Ces dîners de l’inconnu sont le symptôme d’un sentiment croissant de solitude amicale. Grandissant au point qu’en novembre 2023 l’Organisation mondiale de la santé annonçait la création d’une commission sur le lien social « afin d’aborder la question de la solitude en tant que menace urgente ». Un phénomène qui semble toucher toutes les strates de la société.
Dresser le profil type d’un utilisateur Timeleft est impossible. L’âge des abonnés va de 18 à 80 ans, et tous les domaines professionnels se croisent sur l’application. Seul critère pour faire le tri : l’aspect financier. Faire partie de la communauté Timeleft, c’est s’acquitter d’un abonnement, mais aussi payer un repas au restaurant chaque semaine, « entre 30 et 40 euros » selon les termes et conditions de l’application – une somme importante.
Profession, nationalité et signe astrologique
Les convives changent, mais la chorégraphie des soirées, elle, est similaire d’une semaine à l’autre. Le mardi, on reçoit l’adresse du restaurant ainsi que le numéro de sa table, puis, le mercredi matin, quelques informations sur les convives sont révélées : domaine professionnel, nationalité et signe astrologique. Le rendez-vous est donné le mercredi à 20 heures. Lorsqu’on indique au serveur qu’on a une réservation Timeleft, on a droit à un sourire complice.
Dans Paris, par exemple, chaque semaine, une cinquantaine de restaurateurs accueillent d’une à quatre tables Timeleft, et ils sont désormais rodés aux sourires timides des novices et à l’air enjoué des habitués. Le type de cuisine et l’ambiance changent d’une semaine sur l’autre, mais on se retrouve souvent dans des lieux chaleureux, avec grandes tables et lumières tamisées. Une fois installé, il faut surveiller l’entrée pour deviner qui sera le banquier italien né en Verseau.
Pendant l’apéritif, les habitués prennent les devants. On s’échange des banalités pour briser la glace et on parle de ses derniers dîners afin de rassurer les nouveaux. « D’où tu viens ? » ou « Comment tu as découvert l’app ? » reviennent presque toutes les semaines. De là, soit la conversation démarre naturellement, soit on se jette des regards gênés en attendant que « l’expérience humaine » promise démarre d’elle-même. En cas de panne sèche, l’appli propose un jeu de questions, de « Quelle est la combinaison de nourriture la plus étrange que vous ayez essayée ? » à « Quel jour de votre vie aimeriez-vous revivre et pourquoi ? ». On découvre que son voisin de droite a habité en Afrique du Sud et que c’est là-bas qu’il a vaincu sa peur du vide en faisant du saut à l’élastique. Si tout va bien, on finit par poser son téléphone pour de bon.
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