Au centre de la photographie qui illustre la couverture de son autobiographie, Trina Robbins surplombe, campée sur ses jambes, une bande de hippies assis, dont le musicien Donovan, dans le Los Angeles du milieu des années 1960. Sous la longue frange et les lunettes épaisses, le regard de la jeune femme en robe fleurie semble nous mettre au défi.
Presque soixante ans plus tard, ce même regard est franc et, l’artiste, déterminée. « Je suis toujours là », rappelle Trina Robbins dès le début de l’entretien qu’elle a accordé au Monde fin septembre, comme pour faire écho au titre de ses Mémoires, Last Girl Standing, Mémoires d’une icône féministe (Bliss, 2022). L’artiste de 84 ans y raconte à renfort d’anecdotes comment elle a grenouillé dans les milieux folk et hippie entre New York et la Californie (elle est l’une des Ladies of The Canyon chantées par Joni Mitchell en 1970), jusqu’à devenir l’une des figures de la bande dessinée américaine underground et féministe, et une historienne des comics qui s’est employée à montrer « que les femmes font de la BD depuis aussi longtemps que les hommes ».
Trina Pearlson (Robbins étant le nom de son ex-mari) a grandi à New York, dans le Queens, dans une famille juive modeste originaire de Biélorussie – foyer de gauche dans un quartier très conservateur, aime-t-elle à rappeler. Sa mère lui apprend à lire vers l’âge de 4 ans, empruntant des livres à la bibliothèque municipale en attendant qu’elle soit en âge de le faire elle-même.
« Ma mère avait l’habitude de ramener du travail des rames de papier et beaucoup de crayons. Je pliais les feuilles en deux pour former des quatre pages et y dessiner des BD. »
Trina claquait ses quelques cents d’argent de poche pour dévorer tous les comics mettant en scène des héroïnes, comme Katy Keene ou Patsy Walker. Parmi ses influences, « il y avait Wonder Woman, mais aussi Sheena, reine de la jungle. Je voulais être elle ». En 1986, elle ira puiser dans cet amour des personnages féminins des années 1940 et 1950 pour dessiner, « dans le style original du premier dessinateur de Wonder Woman, Harry G. Peter », une minisérie centrée sur l’Amazone coécrite avec Kurt Busiek. C’est la première fois que les aventures de cette superhéroïne de premier plan sont confiées à une femme. « Il faudra attendre le début des années 2000, et le travail de la scénariste de Jodi Picoult » pour revoir une femme aux manettes de la franchise Wonder Woman, rappelle Xavier Fournier, journaliste spécialiste de la bande dessinée.
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