Depuis quelque temps, on ne pouvait pas discuter plus de 2 minutes avec un fondateur de startup dans le domaine du numérique sans entendre le mot data. Un mot qui ne veut à peu près rien dire, puisque l’informatique s’est appelée depuis l’origine « Data Processing » (traitement de l’information). Et d’ailleurs avant l’informatique à base de microprocesseurs, les machines mécaniques comme celles du recensement de la population de la fin du 19ᵉ aux États-Unis, étaient déjà du « data processing ». Le plus amusant reste ce patron d’ESN, qu’on a tous croisé un jour, et qui vous explique sans rire, que sur son marché, sa société se différencie en misant tout sur la data…
Mais depuis quelques semaines la data est en train de se faire dépasser par un mot encore plus général : Métaverse !
Après une première annonce par Facebook, le 18 octobre, que la société allait créer 10.000 emplois en Europe pour lancer sa prochaine plateforme appelée Métaverse, elle double ensuite la mise le 28 octobre en annonçant également changer de nom pour Méta et devenir une société créatrice de metaverses, ces espaces numériques tirés de la science-fiction…
Pour GreenSI, c’est ce qu’on appelle mettre tous ses œufs dans le même panier. Facebook mise sur un nouveau concept pour aller au-delà du réseau social, et dans le même temps, mise sa marque sur ce même concept. Un pari à 227 milliards dans les derniers classements.
C’est, en effet, moins prudent qu’un Alphabet (créé en 2015 par Google pour rompre avec l’image du moteur de recherche) qui reste un nom plus intemporel.
Certains disent que ce ne serait qu’une diversion de Facebook, dont le réseau social et les méthodes sont dénoncées comme « toxiques » pour la diffusion d’information, au Sénat américain, par Frances Haugen ex-employée et lanceuse d’alertes.
Le concept de métaverse aurait donc pu retomber très vite après ces annonces. Mais voilà que deux semaines plus tard, Microsoft au plus de haut de sa forme en Bourse, donc qui n’a pas besoin de prendre des risques, s’engouffre dans le Métaverse où il veut y installer les salles de réunions de son produit Teams.
Alors concept génial ou nouvelle banalité marketing, façon « spécialiste de la data », pour brouiller les cartes dans la compétition entre GAFAs ?
Les concepts mis par chacun derrière le mot de Métaverse sont différents, mais renvoient à une réalité en trois dimensions, plus ou moins virtuelle ou augmentée, permettant une expérience immersive dans un espace propre, mais partageant la même dimension temporelle avec notre réel. On pourra se déplacer dans cet espace avec un avatar piloté par nos mouvements dans le monde réel, et réciproquement des interactions de cet avatar (comme un choc) pourront être ressenties via une interface dans le monde réel qui les simulera, d’où l’expérience immersive, en tout cas plus qu’un navigateur web, une souris et un clavier.
Pour GreenSI, le premier constat après ces annonces, c’est qu’il s’agit bien d’une tentative d’évolution de l’Internet tel qu’on le connaît aujourd’hui. Sans Internet ça ne marche pas.
Mais on parle d’un internet propriétaire, dans des espaces fermés, où chaque « propriétaire » veut y valoriser le temps qui y sera passé par des internautes passifs qui y viendraient. Le métaverse est donc une menace pour tous ceux qui valorisent le temps passé dans le monde réel, comme la publicité, car le partage de la dimension temps fait que ce sont des vases communicants. Il ne va donc pas se faire que des amis, et il y aura des gagnants et des perdants.
Facebook a racheté Oculus il y a 7 ans, une société qui produit des casques de réalité virtuelle. Mais rien de garanti que ce sera l’interface dominante. Les ventes sont d’ailleurs modestes à l’échelle de ce champion mondial, puisque l’année 2020, qui a pourtant battu des records avec les confinements mondiaux, n’aura lancé que 6,4 millions de casques, dont la moitié sont autonomes (non connectés à un PC).
On ne peut non plus s’empêcher de penser à l’échec relatif du casque HoloLens sorti en 2016 par Microsoft, puis recentré en v2 sur les usages entreprises encore confidentiels comme la maintenance, mais surtout qui vient d’essuyer l’arrêt le mois dernier, par l’armée américaine, de son programme de visière du combattant à affichage réalité augmentée. Ces casques sont finalement encore peu adaptés à des usages opérationnels, et pour ceux qui en ont porté un, vous conviendrez qu’ils sont lourds à porter plusieurs heures sur la tête, même sans fil.
Le potentiel de valorisation du temps passé dans le Métaverse, par peu de personnes connectées pendant peu de temps, ne semble donc pas être encore un marché mirifique. Alors, soit ces sociétés nous cachent une future application qui va changer les règles du jeu, comme on a connu la prise de photos avec un téléphone versus l’interface d’un appareil photo, soit on est bien dans le repackaging de ce qui existe déjà dans ces deux sociétés.
Dans sa courte histoire, Facebook ne s’est pas fait reconnaître par sa vision, mais plus par le rachat et l’intégration de ceux, qui comme Instagram ou WhatsApp, avaient une vision de l’avenir des interactions sociales. D’une certaine façon, Microsoft a la même histoire, sur une période plus longue, et par exemple sur le terrain du mobile et des GAFAs, n’a jamais réussi à s’imposer (OS et matériel) malgré les moyens et les partenariats stratégiques. Pour GreenSI, la probabilité de l’annonce prochaine d’une future application « qui va changer les règles » reste faible.
Mais si le Métaverse est l’évolution de l’Internet, ne faut-il pas regarder aussi du côté de la plateforme ?
Le besoin de 3D va amener un besoin de ressources de traitement plus important. Une partie de ces ressources va être déportée sur le PC connecté au casque, ou dans le casque lui-même, ce qui fait qu’actuellement les machines « VR Ready » ont des processeurs plus puissants et coûtent plus cher (1.000€ pour un PC et 2.000€ pour un portable), car il faudra bien que quelqu’un paye ces ressources. Côté serveur aussi, les usages vont consommer plus de ressources dans le Cloud. Microsoft a bien compris que c’est une opportunité pour le développement d’Azure où il n’est que n°2 derrière Amazon.
Ce Métaverse va donc consommer plus d’énergie.
Le calendrier de ces annonces, pendant la COP26 où le sujet est plus à décroissance de la consommation des terminaux et à l’informatique responsable, semble quand même mal choisi. Cela interpelle d’ailleurs sur le sérieux des engagements en matière de développement durable de ces deux géants du numérique, compte tenu de la grande responsabilité qu’ils ont dans l’influence des usages de milliards de personnes sur la planète.
Ces annonces semblent donc encore loin d’être des coups de génie. L’avenir nous le dira, mais on peut quand même se demander pourquoi elles ont tout de suite marqué les esprits ?
Certes, elles émanent de deux sociétés aux poids suffisamment importants pour que toute la presse suive, et cet univers est familier des amateurs de science-fiction, en livre (« Snow crach » de Neal Stephenson) ou en film (Ready Player One de Steven Spielberg). Mais c’est peut-être aussi parce que le Métaverse parle de quelque chose qui existe déjà, depuis l’Internet, pour ceux qui ont déjà utilisé le numérique pour transformer les usages du monde physique.
Cette dualité de deux espaces physiques parallèle dans le même espace temps, est celle qui est apparu dans l’évolution hybride du télétravail, ou celle de la Digital Workplace qui mixe les outils de travail, les documents ou les relations dans un monde dématérialisé par le numérique. Mais aussi les jetons NFT – Non Fungible Token – qui permettent d’établir la propriété d’une œuvre (ou d’un objet) numérique, et qui ont fait le buzz cette année, s’inscrivent dans cette tendance de rendre plus physique un univers virtuel.
Le premier des metaverses, Second Life, sorti en 2003, pourtant bien avant la commercialisation exacerbée du web que l’on connaît, avait sa propre monnaie, ses résidents et ses propres titres de propriété. Il continue d’ailleurs d’être actif avec une communauté de moins d’un million de personnes.
On le voit, dans tous les domaines le numérique s’hybride avec le monde réel et de multiples interfaces apparaissent, tout en partageant la même dimension temporelle. Si certains veulent appeler cela l’avènement d’un prochain Metaverse, pourquoi pas, mais LA question la plus importante n’est-elle pas : quelles fondations veut-on pour un univers numérique hybridé avec le monde réel ?
Pour une fois, les politiques ne sont pas mis devant le fait accompli, mais ont la possibilité d’en parler aux populations qu’ils représentent et de fixer les barrières que ces populations ne veulent pas franchir. L’internet d’origine comme projet collaboratif a été dénaturé et ses fondateurs ne le reconnaissent plus.
Si le Métaverse est l’évolution d’Internet, il est encore temps de se soucier de ce que l’on veut en faire, surtout s’il quitte le domaine du jeu vidéo et veut embrasser l’art, la culture, l’éducation ou le télétravail de demain.
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