Eric Léandri, le cofondateur et ancien président-directeur général (PDG) de la société Qwant (connue pour son moteur de recherche, notamment utilisé par le site du monde.fr), a été épinglé dans une longue enquête du site Politico pour les activités d’intelligence économique de sa nouvelle société, Altrnativ. Politico a eu accès à plusieurs milliers de documents relatifs à Altrnativ qui dépeignent des offres de services peu respectueuses de la vie privée.
Alors que l’entrepreneur français s’est longtemps construit une image de protecteur des données personnelles, et de défenseur de la vie privée, le site d’information révèle qu’il est aujourd’hui à la tête d’une entreprise commercialisant des activités d’intelligence économique en apparence en contradiction avec ce portrait.
Rapports sur des employés de Dassault Aviation
Selon Politico, Altrnativ a, en effet, accompli plusieurs missions pour de très grandes entreprises françaises, pour le compte desquelles elle a épluché les réseaux sociaux et collecté des informations publiques. Selon des documents internes consultés par le site d’information, Altrnativ a, par exemple, réalisé en 2021 un rapport sur une candidate d’origine nord-africaine à un poste chez Dassault Aviation pour le compte de l’entreprise française, en analysant les informations laissées, entre autres, sur le compte Facebook de la jeune femme. Le rapport contenait des éléments sur ses idées politiques présumées et son rapport à l’islam.
Qwant par défaut dans les ordinateurs de l’Etat
Alors que l’avenir managérial et financier de Qwant se clarifie, l’Etat vient de donner un coup de pouce à ce moteur de recherche français qui se veut être le rival de Google. Dans une note du mercredi 7 janvier, révélée par Libération et dont Le Monde a également obtenu copie, le directeur interministériel du numérique a requis de tous les directeurs d’administration chargés du numérique qu’ils installent « par défaut le moteur de recherche Qwant sur l’ensemble des terminaux, fixes et mobiles » dont ils ont la charge. Ces derniers ont jusqu’au 30 avril pour se conformer à cette consigne.
Cette décision d’insérer Qwant dans tous les ordinateurs et téléphones de l’Etat fait suite aux résultats d’un audit technique, conduit par la direction interministérielle du numérique (Dinum), qui ont été jugés satisfaisants par le secrétaire d’Etat au numérique, Cédric O.
« La décision d’installer Qwant sur les postes de l’Etat n’est pas une décision politique, c’est une décision technique, parce que Qwant apporte des garanties demandées par l’Etat », fait-on valoir au sein du cabinet de M. O. La note de la Dinum les liste : un meilleur respect des données personnelles, une moindre personnalisation des résultats de recherche, une capacité d’indexation propre et l’application du droit français. Les agents de l’Etat pourront tout de même choisir « librement » un autre moteur de recherche par défaut, précise Nadi Bou Hanna, le directeur interministériel du numérique.
De nombreuses entreprises se spécialisent dans ce que l’on appelle l’Osint (abréviation d’open source intelligence), la recherche en sources ouvertes, vendant des services de qualité très variable s’appuyant essentiellement sur l’agrégation d’informations trouvables plus ou moins librement en ligne. Politico fait mention d’un autre rapport d’Altrnativ, destiné à une entreprise de communication de crise, et s’intéressant à des personnalités ayant critiqué la société LVMH sur les réseaux sociaux, dont l’eurodéputée La France insoumise Manon Aubry. Cette dernière a réagi après la publication de l’enquête de Politico, dénonçant des « pratiques inacceptables qui n’ont pas leur place en démocratie ».
Parmi les documents internes consultés par Politico, certains soulèvent, selon le média, des questions sur des liens potentiels entre Altrnativ et des sociétés spécialisées dans la vente de matériel d’espionnage. L’enquête publiée mercredi fait notamment état de présentations à destination de plusieurs gouvernements africains comprenant le logo d’Altrnativ et faisant mention de dispositifs d’écoute et de surveillance numérique et téléphonique, dont l’une d’entre elles a été développée par Nexa Technologies, mise en examen en 2021 pour « complicité d’actes de torture et de disparitions forcées ». Eric Léandri a nié toute collaboration de ce genre auprès de Politico, et fait savoir qu’Altrnativ n’était pas à l’origine de ces documents promouvant des logiciels espions.