Simple à prendre en main, riche en contenus et souvent très abordables, les offres IPTV pirates connaissent un succès florissant en Europe, au point d’être au cœur des préoccupations des ayant droits européens.
Oubliez les torrents, depuis 2018 le cauchemar des ayant droit (et le havre des pirates amateurs) s’appelle IPTV. A en croire la Commission européenne, ce n’est pas près de changer. La mise à jour annuelle de la Counterfeit and Piracy Watch List (ou Liste de surveillance du piratage et de la contrefaçon) de la Commission européenne enfonce une nouvelle fois le clou, l’IPTV est l’ennemi à abattre.
Un marché à un milliard d’euros par an… en Europe
Ainsi, l’étude cite un rapport de l’EUIPO, le bureau de la propriété intellectuelle européen, de juin 2021 qui établit que le marché de l’IPTV pirate génère un milliard d’euros de revenus illégaux chaque année dans l’Union européenne. Un montant qui était déjà avancé en 2019… Et puisque nous en sommes à citer des chiffres énormes, indiquons que le document de la Commission estime que 3,6% de la population européenne recourt à ce genre de services. Faut-il y voir une bonne nouvelle et un reflux ? En effet, en 2019, le rapport de l’EUIPO estimait que presque 10% de la population européenne utilisait ce genre de service ?
Quoi qu’il en soit, pour en finir avec ces chiffres qui font trembler le contribuable honnête, en se référant à une étude de l’EUIPO de mai 2021 intitulée Monitoring and analysing social media in relation to IP infringement (Surveiller et analyser les réseaux sociaux en relation avec la violation de la propriété intellectuelle), la Commission projette que « environ 35% des conversations publiques sur les réseaux sociaux pourraient être liées au piratage […] tout particulièrement sur Twitter et Reddit », ce qui ne laisse plus tellement de temps pour parler de la météo et prendre des nouvelles de Tata Gislaine, on vous l’accorde.
L’IPTV n’est évidemment pas le seul « ennemi »
Avant d’aller plus loin, prenons le temps de préciser que cette Watch List est autant le fruit d’enquête de la Commission que celui du retour des ayant droits et des lobbies qui cherchent à les défendre. Il y a donc une volonté politique derrière ce document, une volonté d’encourager à renforcer les moyens allouer à la lutte contre le piratage, qu’ils soient policiers, techniques ou législatifs.
Maintenant que cette mise au point est faite, il faut bien évidemment rappeler que l’IPTV n’est pas le seul moyen de piratage qui existe et qui soit mis en avant par la Commission. Ainsi, les annuaires de liens et les cyberlockers, ainsi que les réseaux P2P, BitTorrent ou les sites de streaming continuent d’activement participer au piratage.
Mais concernant l’IPTV, l’étude indique que de « nouveaux services et de nouvelles tendances ont été rapportés, comme des services qui aident le piratage en offrant des services à la demande pour faciliter la vie d’éventuels pirates pour créer, opérer et monétiser une opération pirate ».
De plus en plus de contenus… et d’offres
Le document de la Commission cite ainsi un acteur indien : IPTV Smarters. Il s’agit d’une solution qui offre à qui le veut une solution clé en main pour créer un site Web, des applications personnalisées sur différentes plates-formes et même une plate-forme de paiement afin d’offrir un service IPTV. « La IPTV Smarter App est un fabuleux lecteur de vidéo en streaming qui permet à vos clients IPTV ou aux utilisateurs de streamer des contenus comme de la TV en direct, de la VOD, des séries ou de la catchup TV que vous leur fournirez, sur leur appareils Android et iOS, leur smart TV et même sur leurs ordinateurs sous macOS et Windows », peut-on ainsi lire sur le site officiel du service.
Il est évident qu’avec de tels outils à disposition, le marché de l’IPTV n’est pas en passe de s’effondrer. Les efforts des polices nationales et européennes ont bien de la peine à endiguer le phénomène.
Ainsi, l’édition 2022 de la Watch List rappelle que « un large spectre de secteurs, comme la musique, l’audiovisuel, la publication, la télédiffusion et le logiciel, sont soumis au piratage ». Certains d’entre eux seulement sont touchés par le succès de l’IPTV, c’est notamment le cas « des diffuseurs et organisateurs d’évènements sportifs qui affichent une inquiétude continue et croissante au sujet de la prolifération des opérateurs engagés dans la mise en place de services IPTV sans licence ».
Les services IPTV sans licence, pirates autrement dit, « offrent sans autorisation des accès via le streaming à des centaines ou même des milliers de chaînes de télévision illégalement à partir de sources légales à travers le monde », rappelle la Commission dans son document. Avant de continuer en regrettant que les utilisateurs de ses services « ont accès à toute sorte de contenus télévisés, y compris des contenus premium (autrement dit payants, NDLR), tels que des blockbusters et des évènements sportifs. »
Comme il se doit le document liste des services qui offrent ce genre de prestation et qui sont donc désormais placés sous surveillance. C’est le cas par exemple de BestBuyIPTV, qui propose plus de 10 000 chaînes de 38 pays et 19 000 titres en vidéo à la demande dans plusieurs langues. Le service est « disponible sur plusieurs plates-formes et systèmes d’exploitation », note la Commission, avant de préciser que le service illégal compterait plus de 900 000 utilisateurs, 12 000 revendeurs et 2 000 re-streamers à travers le monde… Et c’en est un parmi des dizaines d’autres aux chiffres tout aussi impressionnants.
On comprend immédiatement que pour assurer un service de qualité acceptable à une telle échelle, il faut des moyens. Logiquement, ces services ne sont pas gratuits et reposent sur la publicité ou un abonnement. La Commission indique même (avec une certaine naïveté ?) que « beaucoup d’utilisateurs peuvent ne pas être conscients que ces services de Pay-TV sont illégaux ».
Une grande difficulté à contrôler
L’offre est non seulement tentaculaire mais également très difficile à surveiller. Il y a plusieurs raisons à cela. Tout d’abord, les méthodes d’accès sont très variables. Certains services utilisent des applications pour donner accès à leur offre, or elles ne sont pas proposées au téléchargement sur les Store officiels de Google ou d’Apple, elles le sont même généralement depuis le site Web du service. D’autres services encouragent leurs utilisateurs à télécharger des applications de streaming légales, comme VLC, par exemple, excellent lecteur multimédia libre s’il en est. Ils leur expliquent ensuite comment streamer les contenus illégaux.
Ensuite, les ayant droits et leurs représentants mettent en avant que « l’infrastructure technique, liée à ces services, est très complexe, rendant difficile l’identification des sources de contenus et des opérateurs des services illégaux ». Ainsi, une multitude d’acteurs forment une longue chaîne qu’il n’est pas aisée de remonter. Certains opérateurs se sont faits spécialité de copier les contenus en provenance des diffuseurs légaux. Viennent ensuite d’autres services qui vont acheter ces contenus illégalement acquis pour les revendre à d’autres opérateurs qui vont les agréger et les revendre à d’autres acteurs… Une véritable pyramide, dont les éléments sont répartis à l’échelle internationale, au bout de laquelle on trouve le service qui vend sa prestation à l’utilisateur final. Autant d’éléments qui compliquent la localisation des acteurs et le démantèlement de la chaîne mise en place.
A cela s’ajoute enfin un élément encore plus technique : le recours à des reverse proxy ou à des CDN, comme Cloudflare, par exemple. Or, pour des raisons de cybersécurité, les reverse proxy cachent l’adresse IP du ou des serveurs d’origine afin d’éviter des cyber-attaques. L’intervention de ce genre de services, tout à fait légaux, « compliquent l’identification des serveurs d’origine », explique l’étude de la Commission.
Ce réseau complexe, international et protéiforme « constitue un marché noir parallèle », qui explique la prolifération des offres et des flux. Les forces de l’ordre et ayant droits se trouvent donc face à une hydre technologique, aux ramifications presque infinies. Ils connaissent donc leur ennemi et 2023 va sans doute confirmer l’importance croissante de l’IPTV pirate, à moins qu’une solution soit trouvée pour contrecarrer ce secteur florissant du piratage.
Source :
TorrentFreak