La fraude n’épargne pas le monde de la musique. Entre 1 % et 3 % des écoutes en ligne sont fausses, selon les données de 2021 en France dévoilées lundi 16 janvier par le Centre national de la musique (CNM). Il s’agit de la première étude au monde du genre pour le streaming musical.
En « gonflant artificiellement le volume de consommation d’un ou plusieurs titres, on accroît la notoriété et la valeur économique d’un projet ou d’un artiste », dénonçait au début de décembre l’Union des producteurs phonographiques français indépendants.
D’après les indications des plates-formes (Deezer, Qobuz, Spotify) et de distributeurs (Universal, Sony, Warner, Believe et Wagram), le CNM établit qu’en France, en 2021, entre un milliard et trois milliards de streams, « au moins », étaient faux, soit entre 1 % et 3 % du total des écoutes.
Pas de « chiffrage précis »
Il est « certain que la réalité des faux streams dépasse ce qui est détecté, sans qu’il soit pour autant possible de parvenir à un chiffrage précis, puisqu’ils n’entrent pas dans le champ de la détection », développe le président du CNM, Jean-Philippe Thiellay. Les « chiffres qui circulent dans les médias, très supérieurs à 3 %, ne reposent sur aucune donnée établie et démontrée, ce qui ne nous permet pas pour autant de les contredire », ajoute le responsable.
Certains professionnels ont rapporté « être directement démarchés par des prestataires présentant leurs offres d’augmentation artificielle de streams, et Deezer constate une hausse de la fraude détectée en 2022 », poursuit M. Thiellay.
France Inter s’est procuré un e-mail avec les tarifs d’une société qui promet ainsi des streams « 100 % français », qui ne « sont pas des bots [des auditeurs virtuels] mais des personnes réelles qui écoutent vos titres ». Selon la radio, les prix vont de 129 euros le pack de 10 000 à 20 000 streams à 6 499 euros pour plus d’un million de streams.
Tous les domaines concernés
Le CNM, pour son étude, a collaboré avec la plupart des acteurs de la filière. Mais l’instance déplore « que des acteurs comme Amazon Music, Apple Music et YouTube n’aient pu ou souhaité partager leurs données suivant le périmètre d’observation défini, malgré toutes les garanties de confidentialité ».
L’instance définit la manipulation frauduleuse des écoutes en ligne comme « l’augmentation artificielle du nombre d’écoutes ou de vues, par des robots ou personnes physiques, dans le but de générer un revenu, d’améliorer la performance d’un titre dans les palmarès et/ou d’orienter un système de recommandation (playlists, recherche) ».
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Tous les domaines sont concernés : hip-hop, pop/rock, classique, chanson française ou musiques d’ambiance. Dans le détail, sur Spotify et Deezer, « la très grande part des streams détectés provient du hip-hop/rap : c’est assez logique puisqu’il s’agit des genres les plus écoutés (plus de 50 % du top 10 000 sur Spotify et 40 % sur Deezer) », relève encore le CNM.
Pour autant, « rapportés au nombre total d’écoutes de titres hip-hop/rap, ces streams frauduleux ne représentent qu’un très faible pourcentage, 0,4 % sur Spotify et 0,7 % sur Deezer ». En comparaison, la part des streams détectés « comme frauduleux sur l’ensemble des écoutes d’un genre donné est nettement plus élevée sur les musiques d’ambiance (4,8 % sur Deezer) ».
Les commanditaires « rarement » identifiés
Dans le système actuel de répartition des revenus du streaming musical – globalement un pot commun divisé en faveur du plus écouté –, celui « qui gonfle ses chiffres d’écoutes retire une part de rémunération à tous ceux qui ne trichent pas », analyse le CNM.
Disant prendre « la manipulation du streaming très au sérieux » et faire des « efforts » pour combattre ce phénomène, un porte-parole de Spotify France a pour sa part assuré à l’Agence France-Presse que ces flux artificiels n’avaient « pas eu d’impact sur la rémunération des artistes ».
« Dans la plupart des cas, le commanditaire à l’origine de la demande de manipulation des streams sera rarement identifié et identifiable », concède le Centre national de la musique. L’instance propose l’élaboration d’une « charte interprofessionnelle de prévention et de lutte contre la manipulation des écoutes en ligne ». Le CNM réalisera une nouvelle étude en 2024.