Il y a quelque temps, j’avais parlé de ces chaînes YouTube tenues par des ménagères, qui me donnaient une impression générale de malaise. Entre-temps, j’ai cédé à un nouveau péché mignon : les comptes Instagram de ménagères.
La magie des algorithmes
Je ne limite pas mon compte Twitter ni mon compte LinkedIn. Mais, volontairement, mon compte Facebook et mon compte Instagram sont d’accès limité, à des gens que je connais « en vrai ». J’y partage très peu de choses. Néanmoins, je préfère en restreindre l’accès. Après tout, je ne me sens pas obligée d’accepter tout le monde.
Tout avait commencé très innocemment : un compte qui suit un compte de cuisine. Et hop ! Des idées de recettes dans mes favoris. Puis, un compte de sport. Un compte coiffure. Un compte maquillage. Puis, des comptes qui donnent des astuces pour Excel. Et un soir, le drame : un compte asiatique mettant en scène une jeune femme, dans un intérieur étincelant. J’étais foutue.
Depuis, tous les soirs, c’est mon nouveau rituel. J’éteins l’ordinateur, je me mets dans le canapé et je décompresse, parfois une bonne heure devant Instagram, dans un état de fascination devant ces femmes qui nettoient leur intérieur, donnent des conseils de ménage. Je découvre des trucs que je ne connaissais pas, moi qui passe une partie de mon temps libre à nettoyer mon appartement.
Technologie envoûtante
Pourquoi une telle fascination ? En un mot : électroménager. En dehors des ménagères (souvent américaines) qui donnent des astuces de ménage à petit prix, je me retrouve souvent devant des publications qui mettent en avant des appareils de ménage, qui ont l’air fabuleux. Une mini-machine à laver, un appareil pour nettoyer une douche italienne — je hais la mienne — un mini-lave-vaisselle, un appareil pour doser le riz, un autocuiseur vapeur, etc.
J’étais une cible facile pour ce genre de publications : faire le ménage me détend. Quand je commence à sentir monter la colère, au point de ne plus arriver à taper correctement sur mon clavier, soit je grimpe sur mon tapis de course, soit je fais le ménage. Mais, il y a certaines tâches que j’aime moins que d’autres. Donc, tout ce qui peut me permettre de doser mon effort est le bienvenu.
Heureusement, si je suis accro au ménage et à mon tapis de course, j’ai un gros défaut. Je suis un peu avare. Je n’irai pas me priver de quelque chose qui me fait plaisir. Mais, avant de faire un achat, je me demande toujours : est-ce que j’en ai besoin ? Est-ce que j’en ai envie ? Est-ce que je peux me l’offrir en payant comptant ? (Je suis allergique au crédit, que je perçois comme l’antichambre de la faillite personnelle et le début de la mort dans un hospice) Est-ce que je vais m’en servir suffisamment pour justifier sur le long terme cet achat ? Est-ce que j’ai l’espace pour le ranger dans mon appartement sans trébucher dessus ? (Les Parisiens qui me lisent savent de quoi je parle) Si j’ai répondu oui, je saute le pas.
Tabloïd numérique
Quand j’étais adolescente, j’achetais ce qu’on appelle communément des magazines féminins. Cela doit faire 15 ans que j’ai arrêté. Instagram a remplacé cette lecture distrayante. Insidieusement, il m’a ciblé. Je me demande encore comment j’en suis arrivée à avoir un flux Instagram qui ressemble autant aux anciens magazines féminins que je lisais.
On parle beaucoup d’influenceurs qui font des promotions pour divers produits, mais, en fait, avant, c’était dans les magazines féminins. C’était une très bonne « planque » d’y travailler, vu le nombre de produits gratuits qu’on pouvait y récolter. Le ton même des articles donnait l’impression d’une amitié entre le magazine et ses lectrices, ton que j’ai toujours trouvé insupportable et hypocrite.
Alors, pourquoi suivre les publications d’une influenceuse asiatique, qui fait la promotion de produits ménagers high-tech ? Parce qu’elle me ressemble. Les vidéos qu’elle tourne, la montrent dans son quotidien, qui n’est pas celui d’une femme au foyer. C’est peut-être aussi pour cette raison que je n’ai pas eue de répulsion, contrairement aux chaînes YouTube dont je parlais précédemment. Elle rentre le soir, elle se change, elle range, elle se fait à dîner. Et même si on repère qu’elle vit avec quelqu’un — deux brosses à dents dans la salle de bain — elle ne se met pas au service d’un homme. Ce n’est pas non plus un canon de beauté ou une dingue de mode. C’est une personne ordinaire, qui a des moyens financiers importants, vu la taille de l’appartement.
Combats intérieurs
Je rêve devant ces publications Instagram en étant tiraillée par plusieurs problématiques, en dehors de celle que j’ai évoquée auparavant sur mes habitudes de consommation. D’un côté, je suis fascinée et reconnaissante à toutes ces personnes qui ont inventé des machines pour nous faciliter le quotidien, en particulier la vie des femmes. Je me rappelle mon arrière-grand-mère qui lavait son linge à la main. On oublie le confort extraordinaire que c’est d’avoir une machine à laver.
D’un autre côté, tous ces appareils sont autant d’outils de captation de données personnelles. On en parlait dans l’article sur les robots ménagers connectés, qui sont très gourmands en données personnelles. Et si eux en apprennent sur nous, nous n’en apprenons pas forcément plus de notre côté. On peut faire de très bonnes choses grâce à tous ces appareils, mais sans eux, savons-nous cuisiner ? On peut faire le parallèle avec le plagiat et les débats autour de ChatGPT. Oui, l’outil, correctement paramétré, peut produire un très bon article ou un très bon devoir scolaire. Pour autant, qu’aurons-nous compris ? Qu’aurons-nous mémorisé ?
Et il y a la question écologique. Tous ces appareils devant lesquels je suis en admiration et qui nous permettent de gagner du temps et du confort, combien coûtent-ils écologiquement parlant ? Combien sont composés de minéraux rares ? Quelle est leur consommation électrique ? Autant je sais que les chiffres de l’ADEME sont parfaitement bidon, surtout quand ils disent très sereinement qu’une heure de streaming sur Netflix équivaut à un aller-retour Paris-New York, autant je sais que la fabrication même de certains appareils est vraiment énergivore. Dès lors, où placer le curseur ? Comment arbitrer entre notre confort individuel, vers lequel on tend tous et c’est humain, et la préservation de notre espèce ?
J’avoue ne pas avoir la réponse et fondamentalement, ce sont des petits problèmes bourgeois. En attendant, je ne vais pas bouder mon petit plaisir coupable du soir. Et si vous avez des problèmes d’entretien, sachez que le vinaigre blanc, le bicarbonate, le sel et le citron font des merveilles.
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