Si la volonté du Made in India d’Apple est déjà une réalité, la montée en puissance (volumes, qualité, variété) de la production va prendre plus de temps qu’en Chine. En cause : un sens du business très différent et un retard du sous-continent dans plusieurs domaines comme les infrastructures ou le contrôle qualité. Des retards dont le gouvernement a conscience et dans lesquels il investit massivement.
Lors d’un appel avec les investisseurs d’Apple le mois dernier, Tim Cook a prononcé à quinze reprises le mot « Inde ». Le sous-continent, qui est en passe de dépasser la Chine en matière de nombre d’habitants, est en effet une nouvelle priorité pour le concepteur des iPhone et autres MacBook. Autant pour son potentiel de développement économique, que pour limiter l’incroyable dépendance d’Apple à l’outil industriel chinois. Le géant de Cupertino est en train de découvrir que faire du business en Inde reste une aventure… qui n’est pas vraiment de tout repos !
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Car, contrairement au côté « homogène » de l’Empire du milieu, l’Inde est un territoire complexe, fait de multiples ethnies, langues, religions, cultures, etc. Des éléments qui rendent le business bien moins facile que dans l’atelier du monde.
Des barrières culturelles, technologiques… et douanières !
Un des éléments moteurs de la dynamique de développement d’Apple en Inde est la montée des tensions sino-américaines. Ultra dépendant des usines chinoises, Apple risquerait (très) gros en cas d’embargo sur les produits Made in China sur le territoire américain – et la volatilité inédite du gouvernement Trump a prouvé que cette éventualité était possible. Si Apple produit des iPhone depuis 2017 en Inde, l’entreprise a récemment accélérer son développement local. Après s’est contenté de suivre la production chinoise plusieurs mois après, les usines indiennes des partenaires locaux d’Apple (Tata, etc.) conçoivent désormais des iPhone seulement quelques semaines après. Mieux, elles assemblent enfin des produits haut de gamme.
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Mais un article du Financial Times explique que les différences culturelles majeures entre l’Inde et la Chine sont autant de freins pour la montée en puissance du premier par rapport au second. Alors que, sous l’impulsion des gouvernements central et locaux, les acteurs chinois jetaient toutes leurs forces pour répondre à toutes les exigences d’Apple, le monde indien offre plus de… nonchalance. Comme le fait remarquer un ancien ingénieur d’Apple interrogé par nos confrères. « Il n’y a pas de sens de l’urgence », comme cela peut être le cas en Chine, expliquait-il.
Autre problème qui se pose à Apple et à sa chaîne d’approvisionnement : une chaîne de qualité inférieure, qui implique des rendements bien inférieurs. L’article cite en exemple le châssis et le cintre de l’iPhone (la coque métallique dans lequel le smartphone est intégré), dont le taux de rendement serait de seulement 50% dans les usines indiennes ! Des rendements non seulement loin des ambitions zéro défaut de l’entreprise californienne – avec lesquelles les usines chinoises commencent à flirter – mais qui limitent surtout la montée en puissance du volume de production. Finalement, les organisations parfois erratiques, les infrastructures souvent mauvaises, les chaînes logistiques peu fiables ainsi que les taxes douanières sont autant de barrières à la montée en puissance d’Apple dans le pays.
Un pays avec de fortes ambitions industrielles et électroniques
Cette longue liste de limites et de problèmes ne doit pas occulter que la situation évolue, et s’améliore d’année en année. Selon un important entrepreneur indien de la Silicon Valley, Vivek Wadhwa, « les gouvernements locaux (…) vont faire ce que la Chine a fait. […] Apple a désormais mis pied (en Inde) et apprend ce qui fonctionne ou pas. Donnez-leur trois ans et vous allez voir la montée en puissance ». La grande motivation d’Apple n’est pas la seule force qui pourrait être responsable du décollage de l’Inde dans le domaine de la production industrielle et des nouvelles technologies. D’une part, le pays peut compter sur certains savoir-faire en matière de logiciel, tant dans le développement que le support. D’autre part, ses liens avec la Silicon Valley – de nombreux chercheurs, ingénieurs, mais aussi patrons sont d’origine indienne, comme Satya Nadella (Microsoft) ou Sundar Pichai (Alphabet et Google) – sont très forts.
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À cela s’ajoute plusieurs politiques industrielles. Les différentes initiatives pour lancer la filière de production de semi-conducteurs, ou les programmes d’accueil, comme ici, des géants de la tech. Mais aussi des projets énergétiques – comme le projet de centrale EPR, par EDF, à Jaitapur – et de transports majeurs. Pas plus tard qu’hier, Air India signait une méga commande de 250 Airbus et 220 Boeing sous le haut patronage du président indien Narendra Modi. Si le chemin d’Apple dans le pays ne promet pas pour autant d’être un long fleuve tranquille, les curseurs de la volonté politique et des investissements sont tous au vert.
Source :
Financial Times