les dernières heures douces-amères du métavers de Microsoft

les dernières heures douces-amères du métavers de Microsoft


« Fermeture », n’est pas le terme qui vient immédiatement aux lèvres de nos interlocuteurs quand on évoque l’arrêt définitif d’AltspaceVR, plate-forme sociale en réalité virtuelle rachetée par Microsoft en 2017. La plupart de ses utilisateurs préfèrent utiliser des images comme le « dernier souffle », le « glitch ultime », « la grande coupure » ou « les adieux ». Pour les fidèles, ce n’est pas juste une prise que l’on débranche : c’est un monde va mourir le 10 mars à partir de 19 heures.

Le mot « crépuscule » est d’ailleurs utilisé par l’entreprise Altspace VR elle-même, depuis le communiqué du 20 janvier dans lequel elle a annoncé fermer son service pour renforcer les équipes de Microsoft Mesh, une application de réalité virtuelle destinée aux entreprises.

L’abandon n’est pas anodin, moins d’un an et demi après la ruée vers les réalités immersives en ligne initiée par Mark Zuckerberg quand il a rebaptisé « Meta » la maison mère de Facebook. A quoi ressemble un métavers qui meurt ? Pour le savoir, on a enfilé notre casque de réalité virtuelle autonome, le Meta Quest 2, pour s’immerger dans les tout derniers jours d’AltspaceVR.

La première chose que nous appercevons dans ce métavers est une pétition pour le sauver de sa disparition.

Ambiance crépusculaire

Il est midi, le 8 mars, et l’apocalypse semble déjà passée. Devant la page d’accueil de la plate-forme, la plupart des événements en cours n’affichent aucun participant. On déambule durant quelques heures dans des espaces dépeuplés : une exposition montrant des chats dessinés par une intelligence artificielle, un espace de speed dating ou une gigantesque chapelle dans laquelle est diffusée la vidéo d’un prêche évangéliste. On est submergé par une impression de solitude.

Il s’agit en fait d’un faux départ : AltSpaceVR vit à l’heure américaine et se réveille plus tard. Certes, les utilisateurs sont partis au compte-goutte depuis l’annonce de la fermeture, confie un Saoudien rencontré autour d’un feu de camp. Il nous assure qu’à l’approche de la fin, beaucoup reviennent pour un dernier au revoir car les différentes communautés maintiennent des liens grâce à Discord ou les réseaux sociaux. A-t-il prévu de migrer ailleurs ? Pour le moment, il n’aime pas trop les autres métavers, notamment VRChat, où il y a « trop de gamins, trop de bruit partout et de bazar ». Le résident de Djeddah est convaincu qu’un nouvel espace similaire à AltspaceVR va bientôt émerger.

Un espace dédié aux rencontres amoureuses... désormais désert.

Calme et modération

Même au plus fort de son activité, la tranquillité d’AltspaceVR est appréciée. « C’est chaleureux et confortable ici », glisse la Britannique Nic. Contrairement à d’autres espaces en ligne, très libertaires, celui-ci offre de plaisants outils de modération. Quand on arrive dans un nouvel espace, les micros sont coupés d’office et les organisateurs d’un événement peuvent choisir qui peut y parler ou non. La cordialité est de rigueur. On se salue avant de s’aborder (en anglais), on est poli et les discussions durent.

Les utilisateurs rencontrés ont déjà un certain âge et échangent des vues sur des sujets culturels ou de société : on y est plus proche du public d’Arte que de celui de TikTok. La majorité des avatars ressemblent d’ailleurs à des humains normaux, avec des vêtements et des coupes de cheveux sans trop de fantaisie. Avec notre personnage à la peau verte et aux vêtements fluo, on s’affiche comme un touriste.

Notre look tape-à-l’œil détonne dans cet espace plutôt policé.

Spleen et fêtes de fin du monde

Le lendemain, soit la veille de la fermeture, l’heure est aux au revoir. On assiste à des retrouvailles entre vieux copains, des échanges façon anciens combattants ou des discours d’adieu poignants. « Il ne faut pas pleurer », répète une femme à l’accent américain à la fin d’une session de méditation. Pour beaucoup, AltspaceVR a été un refuge et un espace de sociabilisation important durant la pandémie.

Dans un lieu consacré à l’apprentissage des langues, Sarah relativise la tristesse ambiante. Cette joyeuse résidente des Yvelines est la seule Française que l’on a croisée. Elle raconte avoir découvert la réalité virtuelle il y a deux ans, grâce à une amie vivant à l’étranger. C’est là qu’elles se retrouvaient pour discuter, car c’est plus interactif qu’un coup de téléphone.

La Francilienne Sarah est visiblement amusée d’être interviewée depuis son casque de réalité virtuelle.

« Il se passe vraiment quelque chose de spécial, ici, quand on fait des rencontres, même si cela ne remplacera jamais les contacts humains », s’exclame celle qui s’avoue peu portée sur les nouvelles technologies.

Quelques heures plus tard, on rejoint un karaoké rassemblant une cinquantaine de personnes. Au-dessus de la scène, des ballons roses dessinent les mots « thank you » (« merci ») et des chansons d’adieu s’enchaînent. Un homme chante My Way version Sinatra et la trentaine de personnes du public agitent les bras en rythme. Leur mélancolie est contagieuse.

« Comme aux débuts d’Internet »

Une soirée d’adieu dont le titre mentionnait « réservée aux adultes ».

Ailleurs, d’autres dansent dans des rave-parties futuristes, des discothèques rétro et thématiques. Alors que la soirée avance, on échoue dans une saisissante fête intitulée « Bratwurst Sunset Party ». Une quarantaine d’individus discutent dans un univers crépusculaire dédié aux saucisses et à la bière. L’ambiance est bon enfant et tout le monde s’étonne encore qu’un « nouveau » vienne mettre les pieds ici.

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« C’est un peu comme aux débuts d’Internet. Les gens ici s’entre-aident de façon désintéressée parce que nous sommes une toute petite communauté de pionniers », explique Johnny Android. Le Californien est l’animateur de Simulation Nation, un « worldcast », ainsi qu’il désigne son podcast en réalité virtuelle. Pour le moment ce qu’il attend le plus, c’est de vivre la fin de la plate-forme en direct : « Ça va être sublime, une plongée vers l’inconnu », s’extasie ce passionné de science-fiction.

Des saucisses, de la bière et un coucher de soleil pour profiter des derniers moments d’AltspaceVR.

Que vont devenir tous les espaces créés par les joueurs ? « Microsoft ne conservera aucune archive », nous fait savoir l’entreprise. Les utilisateurs sont invités à télécharger toutes leurs données avant le 10 mars. Aucun doute que leurs souvenirs, eux, perdureront.

Tout s’arrête mais tout continue, assure Johnny Android : « Ce n’est que la fin d’un chapitre. » Travaillant à Hollywood, il est convaincu que la réalité virtuelle supplantera dans quelques décennies le cinéma. A une poignée d’heures de l’apocalypse, on est forcé est de constater que l’expérience douce-amère des derniers jours d’AltspaceVR est aussi émouvante que la fin de beaucoup de films.



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