Les éventuelles lourdeurs administratives et autre droit du travail n’ont de fait que peu d’impact sur la préférence potentielle de l’Allemagne pour l’implantation de l’usine européenne de TSMC. Car ce qui compte pour les semi-conducteurs, ce sont le marché, les talents et les fournisseurs. Et la France ne marque ici qu’un point sur trois…
Les oreilles de Reuters semblent confirmer les rumeurs : TSMC devrait choisir l’Allemagne pour l’implantation de sa future usine européenne de semi-conducteurs de pointe. Selon les informations de l’agence de presse économique, les pontes de l’entreprise taïwanaise seraient en pourparlers avancés avec le gouvernement de Saxe (un des Länder allemands) pour négocier les aides à l’installation d’une usine qui pourrait coûter au moins 20 milliards de dollars. Premièrement, il faut bien préciser que les discussions ne sont pas arrêtées et que rien n’a pour l’heure été signé. Comme tout marché, il est soumis au jeu des négociations et les instabilités économique et géopolitique actuelles sont, plus que jamais, des menaces pour toutes les implantations industrielles.
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On peut néanmoins en déduire que parmi plusieurs pays candidats à l’implantation d’une telle usine, l’Allemagne est pour l’heure en (nette) tête des choix des Taïwanais. Et comme l’an dernier lors de l’annonce du plan d’investissement à 80 milliards de dollars d’Intel en Europe, on peut se poser la question de « Pourquoi l’Allemagne et pas la France ». Une question que certains pourraient hâtivement sur le droit du travail français, notre (éventuel ?) sale caractère, les grèves, ou encore notre propension à transformer les (très nombreux) ronds-points du pays en esplanades barbecue-baston. En pleine discussion « business », il est extrêmement difficile voire illusoire pour un média non économique d’avoir des informations de première main par des « sources proches du dossier ». Pourtant, il existe des éléments factuels qui permettent de comprendre pourquoi l’Allemagne a des atouts que nous n’avons pas. Pour cela, il faut regarder les réponses précédentes d’Intel à ce sujet – que nous avions pu interroger à ce sujet l’an dernier – d’une part. Mais aussi regarder de près l’écosystème de notre voisin allemand, d’autre part. Et comprendre ce qu’il représente pour les industriels des semi-conducteurs.
Le marché, les talents et les fournisseurs
En bons défaitistes, les Français seraient prompts à dire que « tout va à vau-l’eau » et que notre pays est en « déclin ». Sauf que l’an dernier, ce sont tout de même 5,7 milliards d’euros que STMicro et Global Foundries ont investi dans la future extension de l’usine de ST de Crolles, près de Grenoble. Et quoique nous souffrions parfois d’un syndrome d’infériorité par rapport à la Deutsche Qualität, la réalité est que le pays de M. Scholtz affronte lui aussi de gros défis – dépendances à la Chine (économique) et à la Russie (énergétique), inflation plus importante, natalité faible, Deutsche Bahn en perdition, etc. De l’autre côté du Rhin, tout n’est pas forcément mieux.
Mais dans le milieu des semi-conducteurs, l’Allemagne a plusieurs atouts.
Le premier est le marché local. Et ce marché s’appelle l’automobile, le domaine où l’Allemagne est un géant industriel avec ses énormes groupes – Volkswagen AG, BMW Goup ou encore Mercedes-Benz Group. Alors que beaucoup pensaient – à tort – que l’automobile se contenterait de nodes matures, on sait désormais que cela n’est pas le cas. La voiture du futur va être bardée de puces et aura besoin de puissance de calcul. « D’ici à dix ans, les modèles les plus haut de gamme de voitures disposeront d’une puissance de calcul combinée de leurs puces allant de x7 à x10 par rapport aux meilleurs véhicules actuels », prédit Nakul Duggal, vice-président et responsable de la division automobile de Qualcomm, que nous avons rencontré à l’occasion du MWC 2023 à Barcelone en février dernier. Et pour répondre à ces besoins de puissance, il faut des puces gravées dans les toutes dernières technologies, ce à quoi s’attèle Qualcomm avec sa plateforme Snapdragon Ride Flex.
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Ensuite, il y a la présence de talents. La France en as, certes, comme le reconnaissait en mars 2022 dernier Raja Koduri, Vice-Président d’Intel : « Vous n’allez pas dans une région du monde pour le prix, mais pour les talents. En France, le niveau est très élevé en mathématiques, en physique, et en informatique », expliquait-il. Ce qui explique que la France avait remporté le site de design à Saclay (région parisienne). Mais c’était l’Allemagne qui avait remporté le « gros lot » à 17 milliards de dollars sur le site de Magdebourg. De nombreux paramètres ont été pris en compte, notamment les compétences locales. Et en matière de semi-conducteurs, les ingénieurs et techniciens liés à cette industrie – qui est en partie physique et en partie chimique – est plus important qu’en France. Surtout du côté de Dresde (qui est en Saxe !) avec les usines de Global Foundries et de Bosch. Un pôle sur lequel s’appuie Intel, Magdebourg n’étant qu’à 230 km de Dresde.
Qui nous amène au dernier point, intriqué avec ce second : le réseau de fournisseurs. Cette concentration d’acteurs déjà en place, la consolidation annoncée avec l’arrivée d’Intel pas loin, sont autant d’arguments en faveur d’une nouvelle implantation. Une densité dont la France ne peut pas se targuer, avec Crolles comme unique site de pointe sur le territoire.
Les discussions toujours en cours, l’explosion des prix sur la table des négociations
Installer une usine de semi-conducteurs n’est pas une bagatelle. Et ça l’est encore moins aujourd’hui qu’hier. Hier, c’étaient des prix à 12-18 milliards de dollars à cause du passage à la technologique de pointe utilisant les machines à ultraviolets extrêmes (EUV) d’ASML. Des machines à 180 millions d’euros pièces qui pesaient déjà lourd dans la balance. Depuis les dernières annonces d’Intel l’an dernier, le tarif des implantations a encore flambé. Des projets futurs, évidemment. Mais aussi des projets en cours : la première pierre de Magdebourg n’a pas encore été posée, que l’inflation a fait exploser les budgets prévisionnels. Et Intel est d’ailleurs en train de négocier une enveloppe supplémentaire de la part des autorités allemandes, puisque le prix originel de 17 milliards passerait à 30 milliards d’euros. Intel demande ainsi que l’enveloppe d’aides passe de 6,8 milliards d’euros à 11,8 milliards. Et cette enveloppe d’aide à l’installation est, comme le rapporte Reuters, un des sujets majeurs des discussions entre TSMC et les autorités allemandes.
Ce qui n’enlève rien à la « perte » d’un site industrie majeur pour la France. Une France qui, avec une industrie de l’armement en plein essor – la France est désormais troisième exportateur mondial derrière les USA et la Russie – et des industries automobiles fortes, le marché nécessaire. Mais n’a ni suffisamment de talents disponibles, ni un écosystème suffisamment fort pour s’emparer des plus gros contrats.
Source :
Reuters