Intel, le leader des processeurs pour ordinateurs, a perdu son cofondateur Gordon Moore, mort vendredi 24 mars à Hawaï, à l’âge de 94 ans. Dans un article rédigé dans la revue Engeenering and Science, Moore se décrivait en 1994 comme « entrepreneur par accident ». De fait, ses débuts rappellent que la trajectoire des capitaines d’industrie n’est pas toujours cousue de fil blanc. Moore naît en 1929, l’année du krach boursier, et grandit dans un petit village de Californie nommé Pescadero. Sa mère tient la boutique locale, son père est shérif adjoint. Enfant passionné de sciences, il intègre l’université de Berkeley, située à une centaine de kilomètres de là.
La Silicon Valley, toute proche, commence à sortir de terre. Mais Moore ne s’intéresse pas encore à l’électronique. Son doctorat de chimie sous le bras, il part travailler au carburant des missiles navals sur la côte est, à l’université Johns Hopkins de Baltimore. Puis, son équipe dissoute, il passe un entretien au Lawrence Livermore Laboratory : on lui propose d’analyser les explosions des bombes atomiques.
Son refus lui ouvrira les portes de la Silicon Valley. En effet, les candidats ayant refusé l’offre du Livermore Laboratory reçoivent un appel de Bill Shockley, futur Prix Nobel de physique, co-inventeur, dans les années 1940, du transistor, qui cherche un chimiste pour travailler à une puce électronique moins coûteuse. Elle regroupera plusieurs circuits électroniques en un : ce sera l’un des premiers circuits intégrés. Gordon Moore accepte.
Pionniers de l’électronique
Déçu par le management de Shockley, Moore le quitte dès l’année suivante, en 1956, avec huit autres renégats. Ils fondent ensemble la Fairchild Semiconductor Corporation, qui se taille rapidement une part du marché naissant de l’électronique. C’est dans cette entreprise qu’en 1963, alors qu’il occupe le poste de directeur de la recherche et du développement, Moore formule pour la première fois la fameuse loi qui portera son nom. Constatant l’accroissement régulier du nombre de transistors dans les puces électroniques, il prédit que leur nombre continuera de doubler régulièrement.
La loi de Moore n’est pas une démonstration scientifique mais plutôt une profession de foi dans le pouvoir de l’ingénierie. Elle lui vaut un début de notoriété dans la Silicon Valley, modeste s’entend, car Moore n’est pas encore une figure tutélaire. Le microprocesseur n’est pas encore né, mais cela ne saurait trop tarder.
En 1968, Moore fonde Intel (Integrated Electronics) avec son collègue Robert Noyce. Avec un business plan assez vague en tête, les deux hommes amassent quelques millions de dollars de fonds, et se mettent à fabriquer de la mémoire. Premier choix original pour l’époque : Intel emploie comme base du silicium, un élément chimique qu’on trouve notamment dans le sable. Second choix éclairé, Intel figure parmi les toutes premières entreprises à étudier un microprocesseur, regroupant la plupart des puces électroniques centrales d’un ordinateur en une seule. Une invention-clé dans l’histoire de la micro-informatique.
Révolutionnaire par accident
Pourtant, Gordon Moore n’entrevoit pas cette révolution à venir. A l’époque, beaucoup d’ingénieurs imaginent que le microprocesseur servira surtout dans des calculatrices. Dans son article de 1994, Moore révèle même n’avoir pas vu l’intérêt du PC : « Bien avant Apple, un de nos ingénieurs m’a suggéré de construire un ordinateur destiné à la maison. Je lui ai demandé : “Mais pourquoi quiconque voudrait-il un ordinateur pour sa maison ?” »
D’autres ingénieurs auront cette vision à sa place, celle d’un PC rendu beaucoup moins cher, beaucoup plus petit, et beaucoup moins gourmand en électricité par l’emploi d’un microprocesseur. Certains de ces esprits pionniers emploieront d’ailleurs un processeur Intel dans leurs micro-ordinateurs, comme les inventeurs de machines pionnières comme le Micral ou l’Altair. Mais d’autres ordinateurs comme l’Apple II, l’un des premiers gros succès commerciaux de la micro-informatique, intègre un processeur concurrent.
Moore se rattrape en prenant les commandes d’Intel en 1975. En l’espace de douze années au poste de PDG, il impose ses microprocesseurs comme le standard mondial, devant ceux d’entreprises comme Texas Instrument ou Motorola. Après quoi, durant vingt années supplémentaires, il veille à son héritage au poste de président du conseil d’administration. Lorsqu’il se retire en 1997, il a la satisfaction de constater que la loi de Moore, énoncée dans les années 1960, n’a pas déraillé : la densité des circuits intégrés continue bien de doubler tous les dix-huit mois. Il faudra attendre 2008 pour qu’elle connaisse sa première crise de croissance.
Durant sa carrière, Gordon Moore a amassé une fortune considérable, estimée à 7 milliards de dollars (environ 6,49 milliards d’euros) par Forbes. Personnage décrit comme économe de ses mots, humble, et habillé simplement, il aurait versé de son vivant la moitié de son patrimoine à une fondation portant son nom et celui de sa femme, Betty. Cette organisation soutient des hôpitaux, des universités, des ONG environnementales, et des laboratoires scientifiques.
Gordon Moore en quelques dates
3 janvier 1929 Naissance à San Francisco (Etats-Unis)
1963 Enonce pour la première fois le principe qu’on appellera plus tard « la loi de Moore »
1968 Fondation d’Intel
24 mars 2023 Mort à Hawaï (Etats-Unis)