Dans une affaire où le réseau social était jugé pour ne pas avoir coopéré avec les autorités françaises qui enquêtaient sur trois cas de cyberharcèlement, Twitter a été relaxé. Voici pourquoi.
Si vous avez déjà été victime de harcèlement ou de campagne de haine sur les réseaux sociaux, cette décision de justice devrait vous intéresser. Le tribunal correctionnel de Paris a jugé, lundi 27 mars, que Twitter n’était pas tenu de collaborer avec la justice française dans une affaire qui concernait trois cas de cyberharcèlement.
En 2019, puis en 2020, Aurélia Gilbert, rescapée du Bataclan, Georges Salines, père d’une des victimes de l’attentat, et Nicolas Hénin, journaliste otage de l’État islamique, avaient été tour à tour harcelés sur la plateforme. À l’époque, le débat sur le rapatriement d’enfants de djihadistes fait rage. Ces trois anciennes victimes de terrorisme publient des tweets dans lesquels elles se déclarent en faveur d’un retour sur le sol français de ces enfants. Ces messages vont être le point de départ d’une vague de haine et de harcèlement sur le réseau social particulièrement violente, raconte Le Monde, lundi 27 mars.
Ces trois personnes vont alors porter plainte, chacune de leur côté. La police, pour retrouver les auteurs des messages haineux, va demander à Twitter l’identité des personnes derrière les comptes à l’origine du harcèlement. Sans succès, puisque Twitter ne va jamais répondre pour deux d’entre eux, le réseau social bottera en touche pour le troisième. Faute de pouvoir remonter la moindre piste, les trois enquêtes vont finalement être classées sans suite. Mais les victimes n’en resteront pas là : elles mèneront ensemble une action en justice contre la plateforme pour, entre autres, refus de déférer à la demande d’autorités judiciaires françaises – une infraction prévue par la loi pour la confiance dans l’économie numérique de 2004.
Une erreur de destinataire et une pirouette juridique
Mais comme cela avait déjà été jugé auparavant, le tribunal de Paris a expliqué qu’une société étrangère n’était pas tenue de répondre à des réquisitions judiciaires en dehors d’outils d’entraide internationaux. Car si les réseaux sociaux comme Twitter sont bien tenus d’une obligation de fournir des informations permettant d’identifier les auteurs de messages considérés comme illicites par une autorité judiciaire, encore faut-il que la demande (la réquisition) soit adressée à la bonne société. Or, en l’état, la police avait suivi la procédure imposée par Twitter.
Les agents en charge de l’enquête avaient rempli une demande en ligne. Et malheureusement, la réquisition avait été automatiquement envoyée à Twitter Inc basée à San Francisco aux États-Unis – donc à une société de droit étranger. Or, il aurait fallu l’envoyer à Twitter International Unlimited Company (TIUC, domiciliée à Dublin, Irlande, dans l’Union européenne) pour pouvoir se prévaloir de cette obligation de « coopération ». TIUC qui est considéré comme l’hébergeur des contenus accessibles en France « n’a été destinataire d’aucune réquisition judiciaire », estime le tribunal.
Conséquence : d’un côté, l’entité européenne qui aurait dû recevoir la demande n’a rien reçu. Et de l’autre, l’entité américaine qui a bien reçu la demande n’était pas obligée d’y répondre car la police aurait dû utiliser des « outils de coopération internationale ». Résultat, Twitter a été relaxé, et les auteurs de cyberharcèlement présumé courent toujours.
Twitter de plus en plus critiqué
Cette action en justice s’inscrit dans un contexte où Twitter est de plus en plus critiqué pour ne pas lutter suffisamment contre la haine en ligne et le cyberharcèlement. Le réseau social a par exemple été condamné à dévoiler les mesures mises en place pour lutter contre la haine en ligne l’été dernier, condamnation qui l’a obligé, le 22 mars dernier, à indiquer le nombre de ses modérateurs employés dans le monde. Le réseau emploie actuellement « 1.867 modérateurs » ce qui revient à… un modérateur pour 200.000 utilisateurs.
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Mais ni les critiques, ni les condamnations n’auraient pour l’instant la moindre efficacité, en particulier depuis qu’Elon Musk est à la tête de la plateforme. Une enquête de la BBC publiée mardi 7 mars révélait que l’arrivée du milliardaire à la direction de l’entreprise a entraîné une baisse des effectifs et des moyens mis dans la sécurité et la confidentialité.
Source :
Le Monde