#TousAntiCovid est la mise à jour, lancée cette semaine par le gouvernement, de l’application StopCovid de traçage par bluetooth, qui avait fait couler beaucoup d’encre en avril dernier, jusqu’à être reconnue finalement comme un échec d’adoption par les français.
GreenSI n’a pas de boule de cristal pour savoir si la nouvelle mouture contribuera à ralentir la progression de l’épidémie. Cependant, dans le contexte des systèmes d’informations pilotés par l’Etat, GreenSI trouve que le lancement de #TousAntiCovid est déjà un succès digital. Explications !
GreenSI voit la réaction du gouvernement, suite aux résultats de StopCovid, comme une illustration de l’adoption des règles (ou pour certains, des croyances) que l’on retrouve dans le digital. Est-ce un signe de la transformation de l’état d’esprit de nos dirigeants vis-à-vis du numérique ? C’est en tous cas encourageant de voir que le numérique fait toujours parti de la solution, car dans le cas présent il créé une disruption sur la capacité à transmettre de l’information, par rapport à son équivalent téléphonique.
Mais revenons d’abord sur StopCovid. Malgré ses déboires, StopCovid avait réussi une performance peu égalée dans les ministères, développer une application mobile en moins de 2 mois (annonce le 7 avril par le chef de file l’Inria et apparition dans les stores le 2 juin).
Une application de seulement 6 écrans certes, mais qui n’est pas si simple puisqu’elle qu’elle gère des données personnelles, et surtout qu’elle a été annoncée par le Président de République lui-même et donc a été livrée en pâture à tous ses opposants. C’est aussi lui qui a reconnu qu’elle n’a pas marché, enclenché sa refonte et qui reste donc en première ligne avec le secrétaire d’Etat au numérique.
Rappelons que les derniers « exploits » des systèmes d’information de l’Etat dans les billets de GreenSI étaient il y a 2 ans l’arrêt de SIRHEN, le SI des ressources humaines de l’Education Nationale après 321 millions d’euros d’investissements et 10 ans d’efforts (voir ce billet), ou, dans la Santé, la Carte Sesame Vitale qui a mis 20 ans à se déployer. On apprends d’ailleurs ces derniers mois qu’elle gérerait 2,6 millions de comptes fictifs et de faux ayants droits…
Dans les deux cas c’est le Ministre concerné,et non le Président, qui est sur le front, comme celui de la Défense en 2013 pour l’arrêt puis le redémarrage de Louvois, autre fiasco des SI avec la paie des militaires.
Concernant les données personnelles, rappelons que le déploiement du RGPD en Europe depuis 2018 a tué l’innovation dès qu’une application contient, ou peut être suspectée de toucher à des données personnelles. Le gouvernement a donc demandé les avis nécessaires (CNIL) et passé outre certains points via la loi d’urgence sanitaire. Ce week-end s’est d’ailleurs joué à l’Assemblée Nationale la prorogation de l’autorisation d’utiliser les données personnelles (Projet de loi 3464, article 3), pour prévenir des personnes qui ont été en contact via la trace prise par StopCovid, et ce jusqu’au 1er avril 2021.
Le succès immédiat de StopCovid aurait donc certainement été un miracle ! Des difficultés similaires se constatent ailleurs dans le Monde, même si certaines applications, comme à Singapour ont été largement adoptées par le public.
Mais maintenant, que nous apprends #TousAntiCovid sur le digital ?
Le « Minimum Viable Product »
Dans un monde digital et agile, on peut donc voir StopCovid comme un MVP, « Minimum Viable Product ». Vu les délais, le produit était minimum – le dispositif de traçage – et agile, car il a permis de se confronter, le plus rapidement possible, au problème le plus important à résoudre : la gestion des données personnelles pour sauver des vies.
Cette application mobile a donc rencontré le plus vite possible tous les obstacles, techniques, réglementaires, déploiement auprès des français… et a pu apprendre pour mieux s’améliorer. Sa seule erreur a peut-être été de d’être lancé comme un produit fini et non une plateforme numérique évolutive qui accompagnerait les français tout au long de l’épidémie.
C’était bien sûr impossible, puisque l’obtention de toutes les autorisations demandait justement de limiter le produit, dans ses fonctions et dans le temps. A méditer.
Qui pilote le digital, la DSI ou les métiers ?
Ce développement n’a pas été géré par la direction interministérielle du numérique (DINUM) mais par l’Inria et des acteurs privés bénévoles en consortium, une première.
On a vu l’implication du Président lui-même, et celle de la récente agence Santé Publique France (2016), sous tutelle du ministère de la Santé. Le débat a été intense avec la DINUM, pourtant en charge de la transformation, mais qui avait un autre choix technique et de protocole à proposer.
Elle a été écartée…
Comme parfois avec le digital, on n’hésite par à commencer par du « shadow IT » piloté par les métiers et non par la DSI 😉
Fail fast !
StopCovid illustre une autre règle du digital, « fail fast », donc le droit à l’erreur et à l’amélioration continue. #TousAntiCovid, la seconde itération, est née cet apprentissage, après seulement 4 mois de fonctionnement et un pic de 2,8 millions de téléchargements.
Compte tenu des incertitudes de la situation sanitaire, GreenSI ne serait pas surpris qu’il y ait encore plusieurs itérations. C’est bien le propre de l’agilité de s’attaquer aux besoins quand ils émergent, et personne ne savait en mars qu’une seconde vague demanderait une gestion encore plus critique qu’après le déconfinnement, de cette information stratégique pour lutter contre l’épidémie : « qui a été en contact avec qui ? ».
L’importance du design
Le gros changement est certainement une ergonomie améliorée, de la couleur au-delà du bleu, blanc, rouge, des informations mises à jour régulièrement, et des outils pratiques comme le lien avec la carte des centres de dépistages actualisée des temps d’attente et le nouveau formulaire d’attestation dérogatoire de déplacement depuis le couvre-feu. Bref, tout ce qui est pratique et qui concerne les français.
#TousAntiCovid nous rappelle ainsi qu’une application mobile a besoin d’un motif pour y revenir et se construit avec une logique de parcours utilisateurs.
StopCovid était une application qui ne servait à rien si on avait pas été en contact avec quelqu’un d’infecté, et compte tenu de la faible pénétration en nombre d’utilisateurs, ça n’arrivait presque jamais.
#TousAntiCovid a une stratégie de contenu publié chaque jour et d’interactions avec ses utilisateurs, notamment de quand date l’information du dernier traitement qui nous dit que l’on a pas été en contact (connu de #TousAntiCovid) avec le virus.
En terme de digitalisation de ce processus d’information (actuellement réalisé par 30.000 téléopérateurs en lien avec les médecins et les hôpitaux), c’est un gain de temps. Mais c’est surtout une rupture dans ce processus d’identification des cas contacts, puisque sans l’application il est bien sûr impossible de déclarer à son médecin, ceux que l’on ne connait pas.
Une disruption amenée par le numérique qui peut sauver des vies, mais qui dérange les opposants, cherchant jusqu’à ce week-end à bloquer la prorogation à l’Assemblée Nationale. L’argument de protection des données personnelles, ça ressemble de plus en plus aux armes à feu dans la constitution américaine, c’est essentiel pour notre liberté, mais ça peut tuer.
Ne pas négliger la conduite des changements
#TousAntiCovid nous rappelle l’importance de la conduite des changement pour l’adoption d’une application.
StopCovid, un nom qui a certainement été validé au plus haut niveau en son temps, a été changé pour inclure le « Tous » rappelant que plus il y a d’utilisateurs, plus l’application protège ses utilisateurs, et donc que tout le monde est acteur. Le « # » s’inspire du déploiement viral sur les réseaux sociaux. Le logo de la République et de Santé Publique France ont disparu.
Cette application appartient aux citoyens, c’est à eux de s’en emparer, d’en parler de la diffuser dans leur entourage, et c’est le Président des français, resté dans la boucle, qui la transmet à tous. Une vrai stratégie de conduite des changements.
D’ailleurs, dans les démarches de conduite des changements on parle de créer une « contagion positive » (ça ne s’invente pas!), en priorité auprès de ceux qui son neutres, en s’appuyant ensuite sur ceux qui sont positifs, et sans perdre de temps avec les détracteurs qui vont rapidement se retrouver minoritaires.
En lui donnant le statut de « geste barrière », on a également franchi aussi une étape dans la maturité digitale en intégrant la nouvelle application dans le processus de protection, et non pas comme un gadget de plus à côté.
Enfin, les liens de chargement et la promotion de l’application se repèrent sur internet, la chasse à tous les anciens liens relatifs à Stopcovid a été faite et ils renvoient maintenant sur #TousAntiCovid, et le nouveau site bonjour.tousanticovid.gouv.fr/.
On pourrait cependant imaginer une plus grande diffusion en s’appuyant sur une population qui en aurait besoin pour rassurer, comme les restaurateurs qui saisissent sur des cahiers des données de visites très peu précises sur le risque de contact (et critiqués par la CNIL), ou les étudiants lors du retour sur les bancs de l’université, dommage.
Être digital, c’est être « data driven »
La crise sanitaire a mis au premier plan la gestion des données et l’open data, dans ses interactions avec les français.
La France est reconnue dans ce domaine de l’open data, mais c’est la première fois que les données de l’épidémie sont disponibles en continue sur le site santepubliquefrance.fr pour le public, sont reprises et commentées par les ministres. En 2013, le ministère de la Santé était totalement opposé à l’open data et cette position ne s’est infléchie que très récemment.
Or on sait que l’observation permanente des données, assure de comprendre les évolutions de l’environnement et d’ancrer les stratégies dans le réel. On devient alors « data centric » et la collecte de la donnée et son exploitation font partie intégrante des processus d’action.
Aujourd’hui #TousAntiCovid est clairement au cœur d’une plateforme de données, simplifiées, plus compréhensibles du public, avec l’enjeu pour ses processus de production de l’émergence d’une santé plus réactive, avec une mise à jour quotidienne, qui prends le pas sur le cloisonnement des structures du secteur de la Santé.
On peut débattre de l’efficacité des mesures prises, on ne peut plus débattre des chiffres. C’est une accélération formidable en 6 mois qui a de forte chance d’être durable.
Être digital, c’est libérer les équipes
D’ailleurs au départ, c’est l’initiative de quelques agents informaticiens de la fonction publique, confinés, qui ont créé la consolidation des bases de données hétérogènes et leur mise en ligne sur un site créé adhoc. C’est ce qui explique certainement un processus de collecte de données un peu chaotique, avec des ré-ajustements réguliers sur les données. Mais reconnaissons que de pouvoir aller sur un site français, et non sur celui de l’Université John Hopkins, qui a compilé les chiffres mondiaux bien avant l’arrivée du virus aux Etats-Unis, est un peu rassurant.
On retrouve ici l’importance dans le digital du « bottom-up » par de petites équipes agiles, et donc ne pas tout planifier dans des grands plans qui risquent de stériliser toute l’innovation.
Et l’IA quand est-ce qu’on en fait?
On peut cependant constater mondialement que le rôle des intelligences artificielles a été très limité, voir inexistant pendant cette crise. Pourtant juste avant on nous promettait monts et merveilles. Même, les États-Unis, le pays qui truste tous les succès dans la reconnaissance vocale, les traitements de maladies, les voitures autonomes, … n’a pas de meilleurs résultats en gestion de crise que les autres.
Le manque de données dû à la nouveauté du virus est certainement un début d’explication, ce qui fait dire à GreenSI que ceux qui accumulent les données pendant cette crise sont en train de prendre de l’avance pour le traitement de la prochaine crise.
C’est dans ce contexte qu’il faut comprendre le débat sur l’hébergement des données du Health Data Hub par Microsoft de droit américain, et donc le risque que les services de renseignements américains demandent l’accès à ces données – depuis l’invalidation par la CJUE du Privacy Shield en juillet dernier – et que ce dernier s’exécute. C’est vrai que par le passé Microsoft s’est déjà opposé à ce type de requêtes. Cédric O, secrétaire d’Etat au numérique, a annoncé un prochain appel d’offres pour rouvrir la compétition aux fournisseurs français et européens, qui avaient été écartés par un cahier des charges un peu trop exigeant à l’époque 😉
En synthèse, GreenSI considère que le fait de relancer une nouvelle version de StopCovid, d’apprendre de ses erreurs, d’adopter les principes du digital, en 6 mois, est déjà un beau succès pour cette application #TousAntiConvid, et plus largement pour la place du numérique dans la société.
Il ne reste plus qu’à espérer qu’avec l’adhésion du plus grand nombre, elle pourra démontrer la pertinence du digital dans le système de Santé en cas d’épidémie, et à sa façon, contribuer à sauver des vies. Au moment où j’écris ces lignes elle a été téléchargée par 1 million d’utilisateurs de plus que StopCovid. On atteint donc maintenant 5% des français, la cible minimum est de 10% pour son efficacité. Pour lutter et déconfiner, on a pas le choix !
On la trouve ici : sur iOS (lien vers l’App Store), sur Android (lien vers Google Play Store) et même sur Huawei il est possible de la télécharger ici.
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